DOSSIER/Bénin: Faute d’acte de naissance, des « citoyens fantômes » se comptent par milliers à Lokossa

luzdelsol668
13 Min Read

(Société Civile Média) – L’existence légale d’un individu est prouvée par un document capital : l’acte de naissance. Mais force est de constater que, dans la commune de Lokossa au Bénin, ils sont encore des milliers de personnes à ne pas avoir ce précieux papier pour diverses raisons. Ce qui n’est pas sans conséquences négatives sur leur vie. Les autorités locales ont donc pris désormais les dispositions idoines pour délivrer ce document dans les meilleurs délais.

Le petit Assogba P., âgé de 11 ans et qui devrait se présenter au CEP 2016, a été confronté au problème d’acte de naissance. « Mon enfant a failli rater son examen pour faute d’acte de naissance. Fort heureusement, il y a une ONG qui a aidé les mairies cette année là à délivrer des actes aux écoliers. C’est ce qui nous a sauvés et il a pu se présenter au CEP et l’a eu », témoigne son père.

Si le petit Assogba P. a failli ne pas avoir son CEP pour défaut d’acte de naissance, Wilfrid Fanou, professeur d’Anglais, quant à lui, a failli perdre une bourse d’étude toujours pour défaut d’acte de naissance.

« Mon histoire est des plus tristes. En effet, l’acte de naissance avec lequel j’ai eu tous mes diplômes m’a créé tous les problèmes quand j’ai déposé mes dossiers pour l’établissement de mon passeport à l’immigration. En fait, j’ai un jugement supplétif légalement établi en 1995. Mais les inspecteurs de l’immigration ont estimé qu’étant né en 1982, l’acte ne saurait être établi en 1995, encore que j’ai eu le CEP en 1993, et du coup, c’est qu’il existe un autre acte, l’acte de naissance même et qu’il faille en annuler un. Dès lors commence pour moi la course contre la montre. De recherches en recherches, je finis par retrouver l’acte établi en 1982 aussi authentique à Cotonou. Heureusement, je disposais assez de temps et j’ai dû annuler l’acte de 1982 avant d’avoir mon passeport pour aller retirer mon visa. J’avoue que j’ai eu chaud. J’ai failli perdre cette grande opportunité pour ce simple bout de papier », confesse l’enseignant.

- Advertisement -

Les mésaventures du petit Assogba P. et de Wilfrid Fanou ne sont pas des cas isolés. Ces deux histoires montrent bien que l’acte de naissance a toute son importance dans la vie d’une personne.

Que font alors les autorités en charge de l’état civil dans la commune de Lokossa pour faciliter l’obtention de cette pièce aux populations ? Doit-on toujours attendre de sentir le besoin de son utilité avant de courir pour régulariser sa situation à l’état civil ? A qui la faute si un enfant ne dispose pas d’acte de naissance ? Autant de questions qui méritent des réponses adéquates afin que chaque individu détienne ce bout de papier, oh combien indispensable.

Plus qu’important, une obligation

L’importance de l’acte de naissance n’est plus à démontrer. « L’acte de naissance est la pièce maîtresse qu’un être humain doit avoir. Première pièce qui ouvre tous les droits à l’individu, droits civiques, droit de vote. Sans l’acte de naissance vous n’existez pas juridiquement », explique Arnaud Agon, Secrétaire Général du département du Mono.

« Je dirai qu’au-delà d’un simple bout de feuille, l’acte de naissance représente toute une vie. Je l’ai appris à mes dépends et je peux assurer que c’est un papier très capital. Ne pas le détenir vous réduit simplement à un fantôme dans la République », insiste Wilfrid Fanou.

Ces propos seront renchéris par le chef de l’arrondissement de Lokossa, Sévérin Hounnou. « L’acte de naissance est une pièce non seulement importante mais très utile pour l’homme. Sans l’acte de naissance dûment établi, vous ne pouvez rien. Vous êtes inexistant si vous n’êtes pas enregistré à l’état civil. Personne ne vous connaît puisque vous n’avez pas une existence légale », a-t-il déclaré.

« Sans l’acte de naissance ou le jugement supplétif aujourdhui appelé jugement d’autorisation, l’enfant ne peut pas aller à l’école. Et cela a causé beaucoup de tords à bon nombre d’enfants déjà », a laissé entendre Marcos Marcel Tossouvi, Chef Service de la Population et de la Famille à la mairie de Lokossa.

Et ce n’est pas le père du petit Assogba P. qui dira le contraire. « L’année où mon enfant a failli rater son examen, je me suis rendu compte de toute l’importance de l’acte et j’ai regretté ma négligence dans l’établissement de cet extrait pour mon enfant. Une chose est sûre, cela ne va plus jamais se reproduire avec moi, ni avec un de mes proches », avoue-t-il. 

« L’acte de naissance n’est pas seulement important. Loin de là, c’est obligatoire que tout homme l’ait. Par exemple, beaucoup de femme sont limitées pour avoir accès à des crédits juste parce qu’elles n’ont pas de carte d’identité. Nous savons que la pièce maîtresse dans l’établissement de la carte nationale d’identité est la souche de l’acte de naissance. Or, ces femmes n’ont pas d’acte. Vous pouvez donc imaginer le tord que l’absence de ce petit papier peut causer aux gens », a clarifié Sévérin Hounnou.

L’importance de l’acte de naissance est pleinement établie. Toutefois, des centaines de citoyens de la commune de Lokossa continuent de ne pas disposer de ce papier très important pour des raisons diverses.

Ignorance et négligence, des raisons valables ?

Les raisons qui expliquent l’absence d’acte de naissance chez certaines personnes sont diverses. Mais la négligence des parents en est la principale. « Je peux affirmer sans ambages que c’est la négligence ou l’ignorance ou même de l’inconscience de certains parents, surtout les pères, qui fait que plus tard, les enfants ont des problèmes d’acte de naissance. Car, le législateur a été très clair sur la question. C’est le père qui retire l’acte de l’enfant », a déploré le Chef de l’arrondissement de Lokossa.

« Les actes sont établis. Mais les parents ne viennent pas prendre. Nous avons plusieurs fois faire des sensibilisations. Mais rien. C’est tout comme si ce n’est pas leur souci. Mais quand ils sont dans le besoin, ils viennent te pourrir la vie parce qu’il y a urgence », s’est lamenté Félix Sozèhoué, le chef de l’arrondissement de Houin. « Mais des fois, c’est la non disponibilité des registres qui font trainer les transcriptions et par ricochet la délivrance des actes. A cela, il faut ajouter le manque de personnel. Ici, je n’ai qu’un seul secrétaire qui se charge de tout et en même temps de la transcription des données. Cet état de chose ne facilite pas du tout le travail », a-t-il ajouté.

Outre l’ignorance et la négligence, le facteur culturel est aussi à l’origine du ralentissement dans l’établissement de l’acte de naissance.

« La loi dit que le ou les prénoms de l’enfant doivent être donnés par les parents dans un délai 21 jours si l’enfant est né à l’hôpital et 30 jours si l’enfant est né à la maison. Et si parfois on remarque des retards dans la transcription quand bien même la fiche de naissance est transmise à l’officier d’état civil territorialement compétent, c’est que les parents attendent la sortie de l’enfant avant de donner les prénoms. Une fois ces cérémonies terminées, des fois 7 jours après la naissance de l’enfant, les parents ne retournent plus à l’arrondissement pour compléter les données, bloquant ainsi le secrétaire de l’arrondissement dans la transcription », a clairement expliqué Arnaud Agon.

Il apparaît donc que plusieurs raisons sont à la base de ce problème. Mais nonobstant ces difficultés, les autorités en charge de l’état civil de la commune de Lokossa ne tarissent pas d’imaginations pour contrer le phénomène. Mais avant, il faudrait d’abord que les registres soient à jour.
L’informatisation et le réseautage pour un état civil performant.

Juste à l’entrée du bureau réservé aux services de la population à la mairie de Lokossa, on aperçoit, derrière un agent rompu à la tâche, un placard rempli de registres contenant des actes de naissance et rangés année par année. Tout ceci exposé à la poussière et toutes autres intempéries sans des conditions de conservations appropriées. Ceci pose donc le problème d’archivage de ces précieux documents.
« Nous n’avons pas d’autres moyens pour archiver ces documents », a expliqué Marcos Tossouvi. « Et comme vous pouvez le voir, à force de manipuler ces papiers à chaque fois que quelqu’un demande une souche ou une autre pièce, nous les abîmons. Et moi j’ai peur qu’à l’avenir des gens en viennent à ne plus retrouver leur souche. Et ces cas sont déjà enregistrés car, dès qu’on change de bureau, on est obligé de trimballer ces documents et rien n’assure qu’au cours des déplacements qu’il n’y aura pas de perte. Donc la solution à mon avis, est la numérisation de l’état civil », ajoute-t-il.

Mais pour pallier tous les problèmes liés à l’état civil au Bénin en général, il faut bien aller au-delà de la simple informatisation. « Il va falloir que l’Etat béninois puisse parvenir à mettre en réseau tous les états civils. Comme cela, même si tu es né à Tchoumi Tchoumi, de l’endroit où tu es sur le territoire national, tu pourras avoir accès à ton acte. Ceci rendra plus performant l’état civil », préconise Arnaud Agon.

Il apparaît donc clair que la numération et la mise en réseau des états civils réduiraient un tant soit peu les difficultés des populations surtout dans l’établissement des pièces telles que le passeport ou la simple carte d’identité.

L’acte de naissance est une pièce d’une importance capitale dans la vie de tout individu. Son utilité devrait amener les autorités en charge de l’état civil à innover constamment pour permettre aux populations d’être à l’abri de tout désagrément. Les officiers d’état civil de la commune de Lokossa tentent tant bien que mal de rester dans la dynamique de satisfaire les administrés, en rendant plus facile aux parents, l’obtention du précieux document.

Avoir son acte de naissance est donc une obligation citoyenne, et l’avoir à temps en est une autre. Et si au niveau de l’arrondissement de Lokossa, il a été possible de délivrer ces actes en 24 heures, c’est que partout ailleurs au Bénin, cela doit l’être aussi. Tout dépend de la volonté des dirigeants. La bonne gouvernance passe aussi par là.

Cokou Romain COKOU (correspondant à Cotonou)