Togo : Privées de l’accès à la terre par ignorance de leurs droits

Société Civile Médias
9 Min Read

(Société Civile Médias) – Cultivatrice de légumes à Tannou, localité située dans la préfecture du Bas-Mono (au sud-est de Lomé), Souni Mamagné n’a jamais pu avoir accès aux terres de son père décédé depuis plusieurs années. Privée de son héritage foncier par ses frères qui pensent qu’elle n’en a pas droit, cette veuve de 45 ans s’est résignée face à cette décision injuste, estimant qu’il n’y a rien à faire « parce que les choses ont toujours été comme ça ». C’est ainsi qu’elle s’est retrouvée dans l’obligation de contracter des prêts auprès d’institutions de microfinance pour louer des terres en vue de ses activités agricoles. Situation qu’elle aurait pu éviter si elle connaissait ses droits et savait les revendiquer.

Bas-Mono et Vo, toujours réfractaires à l’accès de la femme à la terre

La situation de cette dame n’est qu’un exemple parmi tant d’autres qu’on rencontre dans la préfecture du Bas-Mono, dont certains cantons et villages sont toujours réfractaires à l’accès de la femme à la terre en dépit de nombreuses sensibilisations sur le sujet. Il en est de même dans la préfecture voisine de Vo. Alors qu’elles sont plus utilisatrices de la terre, en raison de leurs activités agricoles, les femmes de ces deux milieux, de façon générale, n’ont pas un accès égal à cette ressource par rapport aux hommes. Ou pire, elles en sont carrément privées.

« Dans une famille d’un de nos villages, un homme avait 8 filles et deux garçons. A sa mort, il leur a laissé un terrain planté de palmiers d’à peu près 20 hectares et un autre de culture de 54 hectares. Après l’enterrement du monsieur, les deux garçons se sont accaparés de l’héritage et ce sont mis à vendre les terrains sans associer leurs 8 soeurs à la démarche. Cette histoire a été à l’origine d’un litige qui est arrivé à notre niveau. Malheureusement, ce sont des réalités que nous vivons régulièrement dans notre localité et ses environs », raconte Togbui KALIPE Odzima, chef canton de Vogan.

- Advertisement -

La situation ainsi décrite vient confirmer les résultats de l’Etude sur l’état des lieux de la situation foncière au Togo et la problématique des droits d’accès des femmes à la terre, commanditée par la Konrad Adenaeur Stiftung (KAS) en 2016.

Cette étude a révélé qu’au Togo, 27,72% de femmes ont eu accès à la terre par héritage contre 72,28% au niveau des hommes. Dans la préfecture du Bas-Mono par exemple, les femmes ne peuvent accéder à la terre que par location ou par prêt, pour jouir d’un usufruit qui ne leur assure pas non plus une sécurité dans l’exploitation. Ceci engendre logiquement l’insécurité foncière qui a pour conséquence l’incapacité des femmes à pratiquer des cultures pérennes (elles ne font en général que des cultures vivrières), à faire des investissements durables, bref à durablement mettre en valeur la terre.

L’une des raisons évoquées par les collectivités qui refusent de donner aux femmes leur part d’héritage foncier est la perte du patrimoine et son émiettement au profit d’autres lignées quand les femmes se marieront. A cela, s’ajoutent les normes traditionnelles régulant la gestion des ressources naturelles qui continuent de maintenir les femmes rurales dans une position marginale.

Ignorance de leurs droits pourtant consacrés par plusieurs instruments

Mais le manque d’instruction des femmes est aussi considéré comme une contrainte limitant leur accès sécurisé au foncier.

« Dans les villages de la préfecture de Vo et du Bas-Mono, très peu de femmes cultivatrices ont été à l’école. Du coup, elles sont nombreuses à ignorer qu’elles ont des droits et se laissent abuser et tricher par les hommes quand il s’agit de partager l’héritage », reconnait Adjowavi Sekou, une parajuriste rencontrée à Vogan.

En effet, le droit de la femme à la propriété, qu’elle soit foncière ou non, est consacré par plusieurs instruments juridiques aussi bien international, régional, sous-régional et national.

Il s’agit par exemple de la Déclaration universelle des droits de l’homme ; de la Convention sur l’Elimination de toutes les formes de Discrimination à l’Egard des Femmes (CEDEF) ou encore le Pacte International relatif aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels (PIDESC). Sans oublier la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples et par le Protocole à la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, relatif aux Droits de la Femme en Afrique. Des instruments que le Togo a fait l’effort d’internaliser dans ses textes nationaux.

Ainsi donc, dans sa politique foncière, l’Etat togolais a fait de l’égalité homme-femme une préoccupation majeure. Une préoccupation qui se révèle à travers les nombreuses mentions faites à la femme et à la fille dans le Code foncier et domanial.

Aussi, le Code togolais des personnes et de la famille (CTPF) reconnaît à la femme le droit de succession. Mais combien sont les femmes rurales qui connaissent réellement ces textes ou en sont informées ?

Mis en œuvre par la KAS depuis 2016 au Togo, le projet EWOH 2, « Un seul monde sans faim, droit foncier de la femme en Afrique de l’Ouest », vise à assurer un accès équitable et sûr aux femmes à la terre. Il a permis d’initier plusieurs actions (en collaboration avec des organisations de la société civile et d’autres acteurs) qui ont contribué à changer beaucoup de mentalités.

Si les campagnes de sensibilisation et les renforcements de capacités organisés dans le cadre de ce projet ont permis à certaines femmes de connaître leurs droits, force est de constater que plusieurs autres sont toujours privées de terre parce que ignorant les leurs. Alors que les textes susmentionnés ont été élaborés pour les protéger contre l’injustice foncière, elles ne s’en servent donc pas, ou s’en servent très peu, pour rentrer dans leurs droits.

« Je ne suis pas au courant de l’existence de ces textes et lois. Je n’en savais rien, c’est vous qui m’en informer », fait savoir LATE Ayaba, cultivatrice rencontrée à Matchalé, un village non loin d’Afagnagan. « Moi aussi je n’en sais pas grand-chose », renchérit Logossou Ablavi, une autre cultivatrice du milieu.

Institution d’assistance juridique, une nécessité !

Il est vrai que plusieurs femmes des préfectures de Vo et du Bas-Mono sont informées sur leurs droits au foncier par le biais des sensibilisations ou des Comités Locaux de Suivi des Problèmes Fonciers de la Femme (CLSPFF) mis en place par la KAS dans le cadre de la mise en œuvre du projet EwoH 2.

Toutefois, une enquête de terrain menée par le Réseau des Journalistes du Foncier (RJF) à Vogan et Afagnagan a révélé qu’il n’existe aucune institution d’assistance juridique de laquelle peuvent se rapprocher les femmes injustement privées de leur droit d’accès à la terre.

D’où la nécessité, pour l’Etat, de penser à la mise en place d’une telle structure. Celle-ci aura pour mission, entre autres, de leur fournir des informations sur leurs droits et les démarches à opérer pour avoir accès à leur terre.