DOSSIER/ Bénin: La jacinthe d’eau, entre nuisance et rentabilité économique

luzdelsol668
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(Société Civile Média) – Avec ses fleurs violettes, la jacinthe d’eau rend l’environnement joli et attrayant lorsque qu’elle couvre toute la surface de l’eau. Mais derrière la beauté qu’elle offre à la nature, cette plante aquatique peut cacher bien de nuisance et engendrer des situations assez désagréables. Les pêcheurs d’Agouè (localité située à environ 5 km de Hillacondji, frontière Togo-Bénin), qui se plaignent régulièrement de ses méfaits, en savent quelque chose. Toutefois, ils ignorent encore tout sur les avantages économiques qu’ils pourraient tirer de la jacinthe d’eau.

« Nous ne savons pas d’où viennent ces herbes aquatiques qui nous envahissent et nous pourrissent la vie ici depuis des lustres », lance Ayi Adotévi, un pêcheur du quartier Follicomé à Agoué, doigtant à la fois avec fureur et résignation la jacinthe qui flotte avec symphonie à la surface du fleuve Mono. Visiblement, le mystère qui entoure l’origine et l’arrivée de plante dans leur environnement est source d’énervement pour ces pêcheurs qui ne savent par quel moyen le combattre.

« Moi quand j’était tout petit, c’était beaucoup plus une autre variété, la laitue d’eau, qu’on voyait et cela causait moins de dégâts pour nos activités. Mais depuis que cette variété s’est introduite dans nos eaux, toutes nos activités ont pris un coup. Nous avons tout fait pour les détruire, en vain », enchaîne-t-il.

Si les riverains ignorent l’origine de cette plante aquatique, les scientifiques, quant à eux, en savent quelque chose. « La jacinthe d’eau est une plante allochtone, c’est-à-dire une plante venue d’ailleurs. Plusieurs hypothèses sont émises sur son origine et son introduction dans notre pays. Certaines hypothèses disent que cette plante se serait accidentellement introduite au Bénin par les bateaux négriers venus de l’Amérique du Sud. D’autres par contre disent que ce sont les colons qui, voulant créer leur environnement ici au Bénin, ont importé cette plante qui est en fait une fleur en Amérique du Sud », explique Dr Edmond Sossoukpè, Maître de Conférences des Universités, Spécialistes en Biologie et Aménagement des Ecosystèmes aquatiques.

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Le scientifique apporte aussi une explication à la pérennisation de cette plante qui dérange les pêcheurs. D’après lui, c’est une espèce aquatique qui vit dans les eaux douces. Elle meure quand l’eau est salée. Et dès qu’elles se sentent menacées par la salinité de l’eau, ces plantes libèrent leurs graines.

« La jacinthe d’eau dont le nom scientifique est Eichhornia crassipes a deux modes de reproduction. Lorsque les conditions de vie sont favorables, cette plante se reproduit par multiplication végétative, raison pour laquelle elle envahie très rapidement les surfaces des plans. Mais quand les conditions de vie s’annoncent difficiles, les fruits de la jacinthe tombent dans les eaux avec leurs graines. Et pendant toute la mauvaise saison, ces graines restent en hibernation dans les vases et quand la bonne saison arrive, elles germent et donnent naissance à de nouvelles plantes », fait savoir Edmond Sossoukpè qui fait un travail de recherche sur cette plante à l’Université d’Abomey-Calavi.

On comprend dès lors la prolifération rapide et durable de la camalote, l’autre nom de la jacinthe, rendant ainsi difficile la vie aux paisibles populations qui n’ont pas d’autres activités que celles fluviales.

Nuisibilité de la jacinthe

La jacinthe d’eau est une espèce des plantes monocotylédones de la famille des pontederiaceae dont la croissance est la plus rapide du règne végétal, ayant des feuilles épaisses et lustrées avec des racines bulbeux et spongieux mesurant jusqu’à 6 centimètres de diamètre et 30 centimètres de long. Ces caractéristiques confèrent à cette plante aquatique flottante une force et une résistance terribles rendant la vie dure aux riverains.

« La nuisance de la jacinthe d’eau tient à trois niveaux. D’abord, c’est une plante qui a des feuilles très épaisses et très enchevêtrées qui constituent un écran par rapport aux rayons solaires qui n’arrivent plus à s’infiltrer dans l’eau pour atteindre les algues. Et donc la production primaire qui constitue la principale nourriture d’une grande partie des espèces de poissons et espèces aquatiques en général, ne se fait plus. Le deuxième niveau est que la jacinthe d’eau a des racines transformées en des sortes de ballons (pneumatophores) qui absorbent de l’air et donc appauvrissent l’eau en oxygène dissout. La conséquence est que les animaux qui vivent dans cette eau manquent d’oxygène, gaz vital pour les animaux. Dès lors, plusieurs fonctions vitales notamment les fonctions de reproduction sont compromises. Enfin, le troisième niveau de nuisance est qu’avec le tapis continue qu’elle forme à la surface de l’eau, la navigation devient très difficile », Explique M. Sossoukpè.

La navigation très difficle en présence de la jacinthe d’eau
La navigation très difficile en présence de la jacinthe d’eau

Ces explications pourraient justifier pourquoi les pêcheurs estiment qu’avec l’apparition de ces plantes, les poissons deviennent rares. « Ces plantes ne nous apportent que le malheur. Quand elles arrivent toutes nos activités cessent. Nous n’arrivons plus à naviguer et donc nous cessons d’aller à la pêche. Et même quand on s’entête à y aller, on ne trouve pas de poissons. De quoi allons-nous nous nourrir si nous ne pouvont plus vaquer à notre activité ? Ces plantes représentent pour nous une malédiction que nous avons plusieurs fois essayé de combattre mais en vain. On ne sait plus quoi faire et nous nous résignons simplement quand elles arrivent », se plaint Kangni, un pêcheur, presque au bord des larmes. Assis à la berge du fleuve observant avec dédain le mouvement de leur « ennemi imbattable », Kangni et les siens prient pour qu’il s’éloigne très vite. Mais leur attente dure des heures et des heures. Et comme tout adversaire de taille, la jacinthe d’eau, se moquant royalement de ces ‘’ennemis déclarés’’, prend tout son temps pour circuler.

« Quand ces herbes nous envahissent, pour naviguer sur moins de 500 mètres, on met parfois jusqu’à 3 heures. C’est très difficile pour nous surtout quand elles apparaissent un lundi, jour de marché, où nous faisons de bonnes affaires », explique Eugène Kpadonou, un autre pêcheur d’Agoué.

Autrement dit, la jacinthe d’eau rend innavigable les cours d’eau empêchant toutes les activités. Pirs, ces plantes d’eau douce sont parfois à l’origine de situations dramatiques. « L’année 2018, nous avons perdu 8 personnes à cause de ces plantes. C’était un jour du marché Djoda. Un de nos frères passeurs revenait du marché la pirogue bien chargée de biens et personnes. Etant donné que la jacinthe les empêchait de circuler, un passager s’est levé pour essayer de repousser les plantes afin de frayer un passage à la pirogue. Malheureusement, la pirogue a chaviré et les sauveteurs n’ont pu rien faire car dès qu’ils plongent, ces plantes les empêchent de revenir à la surface », raconte Aubin Coffi Dogbé, un pêcheur de crabes qui affirme qu’avec ces plantes, ils n’arrivent même plus à pêcher le crabe. « C’est triste le sort que nous fait subir ces plantes aquatiques ici à Agoué. Et personne ne veut nous aider à nous en débarrasser », déplore-t-il.

Mais chose étonnante, il est possible de transformer cette jacinthe d’eau qui dérange en opportunité.

La jacinthe dans l’économie verte

La jacinthe d’eau peut être source de revenue financière. Malheureusement, l’ignorance ou la méconnaissance des bienfaits de ces plantes aquatiques font que les riverains s’en plaignent sans cesse. « Les gens sont venus ici et nous ont dit qu’on fait beaucoup de chose avec, mais depuis on ne voit rien », dit Aubin Coffi Dogbé qui persiste à croire que la jacinthe ne peut servir à rien. Et pourtant, la jacinthe sert dans l’économie verte à bien d’égards.

« Comme valorisation de la jacinthe d’eau, nous avons l’utilisation de la plante comme fourrage pour les petits herbivores tel que les cobayes et les lapins. Nous avons aussi trouvé qu’il est possible du faire du compost avec cette jacinthe d’eau », explique Dr Edmond Sossoukpè.

Dr Edmond Sossoukpè expliquant les différentes parties de la jacinthe
Dr Edmond Sossoukpè expliquant les différentes parties de la jacinthe

D’après lui, cette utilisation de la jacinthe d’eau dans l’alimentation de ces petits herbivore réduit naturellement l’usage des provendes et c’est un profit pour les éleveurs car ils ont la matière disponible et en quantité.

« La valorisation de la jacinthe d’eau peut passer aussi par le compostage. La jacinthe d’eau est très riche en sels minéraux, donc en la compostant on a de l’engrais vert pour fertiliser les sols pour la culture », ajoute-t-il. Et bien entendu, pour une région comme le Grand-Popo, cette activité de compostage ne va qu’accroître la production maraichère. Dans le domaine de l’énergie, elle se révèle d’une grande utilité. « On peut faire du biogaz avec la jacinthe d’eau. C’est une plante très riche et en provoquant sa décomposition en milieu anaérobique, on produit du biogaz qui est récupéré pour être utilisé dans la cuisine ou autres secteurs », fait savoir l’enseignant-chercheur.

La jacinthe n’est pas utile que dans l’agriculture ou dans la production d’énergie. C’est également une plante qui, transformée, peut donner de beaux objets d’art.

L’art par la jacinthe d’eau

Dans le domaine de l’art, la jacinthe est d’une utilité extraordinaire. « On peut valoriser la jacinthe en fabricant des objets d’art car c’est une plante très riche en fibres et ces fibres peuvent être utilisées pour diverses fins. On peut s’en servir pour tisser des paniers par exemple. Quand on sait qu’on est en train d’interdire aujourd’hui les sachets plastiques non biodégradables, une solution alternative peut passer par la valorisation de la jacinthe », explique clairement Dr Sossoukpè.

Certes, ce côté de la plante aquatique gênante n’est pas très connu au Bénin. Mais ailleurs, c’est une matière première dans la fabrication de beaucoup d’objets d’art et même de meuble. « Nous sommes allés en Afrique de l’Est où nous avons vu qu’il y a possibilité d’utiliser autrement cette plante, de la valoriser dans la vannerie et les activités d’art notamment le tissage de sacs végétaux, de chapeaux. Et nous pensons qu’en excitant les gens à développer ces genres d’activité, la pression humaine sur la plante sera si forte qu’elle n’aura plus la même facilité de colonisation qu’elle a eu jusqu’alors », confie Dr Edmond Sossoukpè.

Et pour lui, les décideurs doivent explorer ce pan de la chose afin de valoriser et rentabiliser cette plante. « J’ai dit qu’on peut faire de paniers avec ça. Mais si nous n’avons pas la technique, que pouvons nous faire ? Si on peut vraiment nous organiser autour d’un projet, je crois qu’on fera beaucoup de chose puisque ces plantes représentent une matière première inépuisable », suggère Edou Comlanvi, un autre pêcheur fatigué d’attendre à longueur de journée à la berge en regardant défiler, impuissant, ces plantes qu’il maudit intérieurement.

Des objets d’art fabriqués avec les fibres de la jacinthe d’eau
Des objets d’art fabriqués avec les fibres de la jacinthe d’eau

La méconnaissance de l’importance que peut avoir la jacinthe dans l’économie faire dire qu’elle est une plante nuisible. En attendant que les solutions idoines ne soient trouvées pour lutter contre sa prolifération ou pour la valoriser, elle continue de constituer un casse-tête pour les populations qui vivent le long des cours d’eau et qui ont pour principale activité la pêche. Les recherches se poursuivent à l’Université d’Abomey-Calavi dont les chercheurs sont à l’œuvre pour dévoiler le mystère qui entoure cette plante.

Plutôt que d’être considérée comme nuisible, la jacinthe peut être valorisée et apporter un plus dans l’économie locale et nationale. Pour y arriver, il faut une volonté politique pour accompagner les chercheurs et organiser les riverains afin de rendre avantageuse cette plante perçue jusque-là comme une plante encombrante alors qu’elle pourrait être très rentable pour le bonheur des populations riveraines.

Cokou Romain COKOU