INTERVIEW : Causes et conséquences du phénomène des « Enfants dits sorciers », les explications de Juste NIMNORA de l’ONG Creuset-Togo

luzdelsol668
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(Société Civile Média) – Organisation de défense des droits des enfants intervenant prioritairement dans les régions Centrale et de la Kara, l’ONG Creuset-Togo se bat depuis quelques années contre le phénomène des ‘‘Enfants dits sorciers’’. Des enfants rejetés, marginalisés et même mutilés parce que torturés par des « bourreaux » qui les accusent d’être possédés par des esprits diaboliques. Dans cette interview accordée à la rédaction de Société Civile Média, Juste NIMNORA, chargé de projet et assistance juridique de Creuset-Togo, expose les causes du phénomène. Il se penche également sur les actions menées par leur organisation pour éradiquer ce mal. Lecture !

Qu’attend-on par le phénomène d’ »Enfants dits sorcier » ?

Définir clairement la notion d’Enfants dits sorciers est un peu difficile. Toutefois, la manière dont ces enfants vivent peut permettre de mieux appréhender la situation. D’abord la sorcellerie est un fait connu en Afrique et ailleurs. Et très souvent en Afrique, le sorcier est quelqu’un qui est censé avoir un pouvoir, le plus souvent maléfique ou surnaturel en quelque sorte. Et dans nos communautés, on pense toujours que le sorcier est un être à abattre. En somme, les enfants dits sorciers sont des enfants qui sont rejetés par leurs familles pour des raisons souvent fallacieuses, des raisons qui n’ont aucun fondement. Ils sont souvent accusés d’avoir causé un accident ou d’être à la base de la mort, de la maladie ou de la perte d’emploi de quelqu’un. C’est cette catégorie d’enfants que nous appelons Enfants dits sorciers parce que c’est autrui qui les accuse de sorcellerie.

Revenez-nous un peu sur la cause de ce phénomène

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A Creuset-Togo, nous avons essayé d’établir un profil psychosocial des Enfants dits sorciers sur un échantillon d’enfants. Et selon nos enquêtes, ces enfants accusés de sorcellerie sont souvent des orphelins, des enfants issus de milieux défavorisés ou encore des enfants qui ne sont pas aimés de leur belle-mère et qui ne sont pas forcément les bienvenus à la maison parce que considérés comme des bouches de trop à nourrir. Dans d’autres cas, ce sont des enfants surdoués, agités ou qui sont auteurs de petits vols. On en conclut très rapidement qu’un esprit les poursuit et on va consulter des charlatans qui parlent d’enfants diaboliques. Et dans nos communautés, lorsqu’on accuse un enfant de sorcellerie, il est immédiatement marginalisé. Finalement, il se retrouve sans avenir, n’a pas droit à une famille, à l’éducation, à la santé. Bref, tout est bafoué chez lui. Voilà autant de raisons qui nous amènent à nous intéresser à ce phénomène.

Par quoi le phénomène est-il caractérisé ?

Il est caractérisé par le rejet de ces enfants par la cellule familiale et la communauté. Parce que lorsqu’on accuse une personne d’être la cause du malheur des autres, vous convenez avec moi qu’elle est immédiatement rejetée. Hors, après leur rejet, ces enfants deviendront quoi ? C’est ça le problème, parce que nous avons constaté que c’est souvent ces enfants qui sont en conflit avec la loi parce que tous les moyens sont bons pour survivre lorsqu’ils se retrouvent dans la rue. L’enfance en danger précède l’enfance en conflit avec la loi. Il faut donc faire en sorte que l’enfant ne puisse pas être en conflit avec la loi et éviter le mal par une action préventive. C’est dans cette démarche que nous sommes actuellement à Creuset-Togo. Non seulement nous accompagnons les Enfants dits sorciers, mais également nous sensibilisons les populations et les amenons à savoir que tous les enfants ont des droits. Nous voulons faire en sorte que ce phénomène ne prenne pas plus d’ampleur que ce que nous vivons déjà.

Quelles sont les actions concrètes que mène Creuset-Togo, dans les régions Centrale et de la Kara où elle intervient, pour éradiquer ce mal ?

Nous menons beaucoup d’actions en faveur de ces enfants. Comme ils sont le plus souvent rejetés par la communauté, nous faisons en sorte qu’il y ait une conciliation familiale afin que les parents acceptent de récupérer leurs enfants.

Ces enfants sont aussi victimes de violences graves, de torture. Il y en a même qui finissent mutilés. Nous avons rencontré plusieurs cas comme ça. Donc nous prenons soin des enfants victimes de violences aggravées en leur apportant un accompagnement médical et psychologique et en faisant des démarches pour leur réinsertion familiale, scolaire et professionnelle.
Par ailleurs, lorsque la situation le requiert, nous faisons aussi des actions en justice pour que les éventuels candidats aux actes criminels sur les enfants puissent être découragés.