Phumzile MLAMBO-NGCUKA : « Si la volonté existe, il y a moyen de mettre fin à la violence à l’égard des femmes »

Société Civile Médias
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(Société Civile Médias) – Directrice exécutive d’ONU Femmes, Phumzile MLAMBO-NGCUKA se prononce à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, commémorée ce mercredi 25 novembre. Pour la Sud-africaine, la violence des hommes à l’égard des femmes est également une pandémie, bien antérieure à celle du coronavirus et qui lui survivra. Et d’appeler les Etats et gouvernements du monde à réagir aux violences faites aux femmes et à se mobiliser contre elles, comme ce fut le cas quand il s’est agi de lutter contre le coronavirus. « Si la volonté existe, il y a moyen de mettre fin à la violence à l’égard des femmes », indique-t-elle à travers un message rendu public ce mercredi. En voici l’intégralité.

Déclaration de Mme Phumzile Mlambo-Ngcuka, Directrice exécutive d’ONU Femmes pour la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes

Nous avons toutes et tous pu observer l’étroite corrélation qui existe entre la pandémie de Covid-19 et l’augmentation des cas rapportés de violence de tous types. Nous l’appelons la pandémie fantôme.

Nous avons également pu constater la différence de traitement, par exemple la façon dont nos sociétés et nos services publics répondent à la situation de celles et ceux atteints d’une maladie mettant leur vie en danger, et de celles qui demandent de l’aide parce que leur partenaire représente une menace pour leur santé ou leur vie.

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Nous avons, sous nos yeux, un monde qui a su réagir à la pandémie de coronavirus, appelant tout le monde à monter au créneau, mobilisant des investissements conséquents et décrétant des protocoles obligatoires. Chaque continent reconnaît les conséquences désastreuses de la pandémie sur la santé et la nécessité d’y mettre fin partout où elle se développe. La violence des hommes à l’égard des femmes est également une pandémie, bien antérieure à celle du coronavirus et qui lui survivra. Ce fléau a également besoin de notre intervention coordonnée au niveau mondial et de l’application de protocoles, car il touche de nombreuses populations, de tous âges. Rien que l’année dernière, 243 millions de femmes et de filles ont subi des violences sexuelles ou physiques de la part de leur partenaire. Et cette année, le nombre de cas dénoncés a explosé, témoignant de l’augmentation préoccupante de la violence domestique, de la cyberintimidation, du mariage d’enfants, du harcèlement sexuel et de violence sexuelle.

Si vous vous faites tester pour savoir si vous avez contracté le virus, personne ne vous demandera ce que vous portiez lorsque vous avez été infecté/e ou si vous aviez bu. Vous pouvez être sûr/e que votre test sera analysé en laboratoire, et vous serez très probablement pris/e en charge si vous êtes malade. La réponse à votre mal ne dépendra pas du fait que l’on vous croit ou non. Vous ne ressentirez pas une honte telle que vous n’oserez pas vous adresser aux autorités compétentes. Des soins et un soutien vous seront sans doute apportés.

Si seulement, pour mettre fin aux violences commises par les hommes à l’encontre des femmes, il suffisait de trouver un vaccin… Si seulement, la réponse apportée à ce mal bénéficiait d’autant de financements que ceux apportés au virus et à ses impacts par nos sociétés et nos économies. Imaginez que nous investissions la même quantité de ressources, d’énergie et d’expertise dans la recherche d’une solution durable et globale. Si tous les dirigeants du monde, chefs d’État et de gouvernement, consacraient tous leurs efforts à cette lutte, avant toute autre ; si les personnels de première ligne — procureurs, juges et policiers — travaillaient à sauver la vie de tant de femmes et de filles, comme les personnels soignants le font pour les malades de la Covid-19 ; et si les ministres des Finances allouaient autant de fonds, finançaient des services et des laboratoires de criminalistique, des kits contre le viol, comme ils financent des EPI et des tests. Imaginez si tous agissaient en ce sens, jusqu’à ce que la courbe de la violence s’aplatisse enfin. Imaginez l’impact, les résultats…

Nous sommes peut-être aujourd’hui aux prémices d’une ère prometteuse qui nous permettra d’être à la hauteur du défi. Près de 150 pays se sont déjà engagés à faire de la prévention et de la réparation des violences à l’égard des femmes et des filles un axe fondamental de leur plan national de réponse à la Covid-19. Ils ont su répondre à l’appel lancé par le Secrétaire général de l’ONU pour instaurer la « paix dans les foyers », qui se profile comme un pilier de l’action des Nations Unies sur la prochaine décennie. Toutefois, cette préoccupation n’est pas encore inscrite en grosses lettres dans les agendas, et le changement souhaité n’a pas encore atteint l’échelle requise.

La collaboration entre les États, le monde scientifique, la société civile et les industries a véritablement changé la donne face à la pandémie actuelle. C’est une collaboration de cette ampleur et de cette nature, à cette échelle-là et plus encore, qui serait nécessaire pour éliminer la violence à l’égard des femmes, dans tous les pays et à tous les niveaux : sociétal, communautaire, familial et individuel. Le Forum Génération Égalité et ses coalitions d’action multi-parties prenantes sont le reflet de cette approche cohérente et holistique : un plan quinquennal est d’ores et déjà engagé qui ambitionne une transformation systématique et durable.

La société civile est un partenaire clé dans cette démarche. Mais pour jouer pleinement son rôle, elle doit être dotée de ressources avant tout flexibles. Et la tendance à la réduction des financements, qui limitent les moyens et le fonctionnement des organisations de femmes, des centres de crise, des refuges et des lignes d’assistance, doit être inversée. L’initiative conjointe de l’Union européenne et de l’ONU, l’Initiative Spotlight, ouvre la voie, et d’autres similaires doivent lui emboîter le pas afin que soient mises au point des stratégies qui feront vraiment la différence. Les représentants élus, à l’heure actuelle, ne sont pas à la hauteur des attentes des femmes, et les organisations non gouvernementales, privées de moyens et de ressources, ne peuvent à elles seules combler le vide. Les plans de relance de chaque pays devraient inclure des dispositions visant spécifiquement à stopper la violence à l’égard des femmes et à renforcer le financement des services sociaux — notamment pour appuyer la santé sexuelle et reproductive — qui viennent en aide aux survivantes et leur permettent de se rétablir.

Les femmes doivent avoir pleinement accès à la justice : elles ont le droit de voir les auteurs des abus qu’elles subissent traduits en justice et de bénéficier d’une véritable politique de prévention à même de freiner ces crimes. L’une des raisons pour lesquelles seule une minorité de femmes ose dénoncer les graves atteintes dont elles sont victimes (moins de 40 pour cent) ou sollicite une aide quelconque, est leur manque de confiance dans le système et dans les réponses apportées. Le virage doit être amorcé très en amont, dans les facultés de droit et les académies de police qui doivent enseigner à leurs élèves à reconnaître les abus, à être attentifs à la discrimination et à réagir. C’est ainsi que l’on pourra remédier à l’impunité. Il convient de mettre en place des cadres juridiques et des politiques solides, de disposer de données pour suivre les progrès, pour nous aider à rendre des comptes et obliger aussi les autorités à rendre des comptes.

Les changements culturels qui doivent intervenir sont tout aussi importants, car ils sont la clé pour conjurer la violence à l’égard des femmes. Nous devons faire évoluer les stéréotypes et les attitudes qui conduisent d’une part à perpétuer le sentiment de honte chez les survivantes, et d’autre part à banaliser le comportement des auteurs de ces crimes ou à les excuser. Et nous devons rallier tout le monde à cette cause, y compris les hommes et les garçons. Après tout, un virus est aveugle, alors qu’un homme ou un garçon peut choisir de ne pas être violent, et la société peut le guider dans cette voie et lui demander de répondre de ses actes s’il le devient.

Pour aboutir, toutes ces interventions doivent être engagées simultanément, continuellement, collectivement et à grande échelle. L’économie de la violence est simple, et elle est dévastatrice. Personne n’y gagne. Au contraire, tout le monde y perd. Nous devons retourner la situation. Alors que nous faisons face aux bouleversements provoqués par la crise sanitaire, il n’y a peut-être jamais eu de moment plus opportun pour apporter des solutions, mutualiser nos ressources et mettre tout notre engagement au service de cette grande cause qui est de mettre fin, une fois pour toutes, à la violence à l’égard des femmes et des filles. Nous savons ce qu’il est nécessaire de faire pour lutter contre la pandémie. Alors faisons de même et ayons la volonté de le faire. Avec la Génération Égalité, avançons toutes et tous ensemble vers un monde sans violence.