Togo: Droit aux services de SSR, difficultés d’accès des minorités sexuelles…l’interview de Raymond Adadjisso

Société Civile Médias
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(Société Civile Médias) – Au Togo, la jouissance des services de santé sexuelle et de la reproduction (SSR) a évolué ces dernières années, mais pas pour tout le monde. Et pour cause, une frange de la population, notamment les minorités sexuelles et surtout les LGBTQ, parvient difficilement à en bénéficier. Discrimination, stigmatisation et violences sont à l’origine de cette situation. Directeur exécutif du réseau CUPIDON, membre du « Mouvement Pro SSR pour tous au Togo », Raymond Adadjisso (photo) évoque, dans cette interview, les difficultés des minorités sexuelles à accéder au service de Santé, Droits Sexuels et de la Reproduction (SDSR), les raisons qui expliquent cette situation ainsi que les conséquences qui en découlent. Il insiste par ailleurs sur la nécessité d’œuvrer pour que tous les Togolais, sans exception, jouissent de leurs droits en matière de SSR.

Société Civile Médias : M. Adadjisso, quel est le constat sur la jouissance des services de santé sexuelle et de la reproduction en général au Togo ?

Raymond Adadjisso : Le constat est plutôt mitigé. Les services existent c’est vrai, mais tout le monde n’y a pas accès. La preuve, dans le cadre de la mise en œuvre du projet « Engagement de la Société Civile pour la Promotion de la Santé, Droits Sexuels et de la Reproduction pour Tous au Togo », nous avons, ensemble avec les OSC membres du « Mouvement pro SSR pour tous au Togo », conduit une étude de référence sur les connaissances, attitudes et pratiques (CAP) en matière de jouissance de la Santé, Droits Sexuels et de la Reproduction (SDSR) pour tous au Togo. De cette étude, il ressort qu’il y a une frange de nos communautés qui n’arrive pas à véritablement bénéficier des services de santé sexuelle et de la reproduction. Dans cette frange, figurent les jeunes filles ou adolescentes et les femmes en général, mais aussi et surtout les minorités sexuelles qui sont, en majorité, mises de côté dans la jouissance des services de SDSR.

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Justement, vous venez d’évoquer les minorités sexuelles. Qui sont-elles exactement ?

Dans nos sociétés, la majorité des hommes ont pour partenaires des femmes. Mais il y en a qui ont choisi d’autres orientations sexuelles, même si ce n’est pas ce que nous concevons comme acceptable dans nos us et coutumes.

Font donc partie des minorités sexuelles les groupes dont l’identité, l’orientation ou les pratiques sexuelles diffèrent de la majorité de la société environnante. Il s’agit généralement des hommes ayant une attirance amoureuse ou sexuelle exclusivement pour des hommes qu’on appelle gays, des femmes ayant une attirance sentimentale et sexuelle pour d’autres femmes qu’on appelle lesbiennes. L’expression désigne également les bisexuels, les transgenres, ainsi que toutes les autres variantes d’identité de genre, de caractéristiques sexuelles, ou d’orientation sexuelle. Cette minorité sexuelle est aussi désignée sous le vocable « LGBTQ : Lesbienne, Gay, Bisexuel, Transgenre, Queer ».

Vous indiquiez toute à l’heure que ces personnes ont des difficultés à accéder au service de SDSR

Oui, elles ont des difficultés à bénéficier des services de SDSR, notamment en matière de lutte contre les IST et le VIH. Chez les HSH par exemple, le taux de prévalence est d’au moins 20%. Mais on constate que jusqu’à plus de 35% de cette population ne connaissent rien à la SDSR et des services qui luttent contre le VIH.

Pourquoi ces minorités sexuelles éprouvent-elles ces difficultés ?

C’est en raison de leur orientation sexuelle. Dans nos communautés, les pratiques sexuelles et les formes d’identité de genre des minorités sexuelles ne sont pas toujours tolérées. Et nos coutumes ainsi que notre éducation ne donnent pas d’espace viable à cela. Il y a d’ailleurs une loi qui sanctionne ces pratiques ou ces formes d’identité. Du coup, nombreux sont les membres de ces populations qui ont fait face et continuent de faire face à des situations d’exclusion qui se manifestent par la discrimination, la stigmatisation et les violences. Ce qui les a éloignés, à un moment, des services de santé vu que du fait de leur orientation, elles étaient déjà dans un processus d’auto-stigmatisation et de discrimination.

Aussi, ne se sachant pas éligibles aux sensibilisations et à tout ce que nous faisons en termes de prise en charge notamment sur le VIH et les IST, ces populations n’ont pas pu bénéficier de suffisamment d’interventions et paquet d’offre de service que nous offrons.

Quelle en est la conséquence ?

La conséquence est que cette situation les a rendues beaucoup plus vulnérables à ces maladies. On peut donc comprendre aisément ce qui explique le taux de prévalence élevé chez ces populations notamment chez les HSH. Ce taux avoisine les 22% alors que pour la moyenne nationale, il est autour de 2%. La stigmatisation, l’exclusion, la violence sont autant de facteurs qui justifient ces chiffres.

Au Togo, le Code pénal sanctionne les pratiques homosexuelles. Mais au même moment, vous prônez le droit des minorités sexuelles au service de SDSR. N’est-ce pas une contradiction ?

Vous parlez bien de la promotion de la santé sexuelle et je voudrais insister sur cet aspect. Le Code pénal du Togo sanctionne un acte sexuel entre deux individus. Mais ce n’est pas parce qu’on est en conflit avec la loi qu’on doit être privé des droits humains fondamentaux que nous garantit la Constitution togolaise, notamment l’accès aux soins de santé pour tous. Cet aspect est d’autant plus important que dans les minorités sexuelles, on retrouve des membres des populations clés. Si nous voulons véritablement parvenir à l’éradication du VIH/SIDA, il est important que des actions soient beaucoup plus soutenues envers ces groupes. Autrement dit, nous devons accroître nos investissements stratégiques et nos actions envers eux afin de leur permettre de jouir pleinement de leur droit à la santé, notamment à la santé sexuelle et de la reproduction.

Vous savez, les populations carcérales ou les utilisateurs de drogue ou encore les professionnelles de sexe sont des personnes qu’on considère également comme étant en conflit avec la loi. Mais ce n’est pas pour autant qu’ils n’ont pas le droit à la santé qui est un droit garanti par nos institutions. Nous avons le devoir de nous assurer que même si ces personnes sont en conflit avec la loi, que leurs droits en matière de santé sexuelle soient toujours respectés.

En somme, pour nous, il n’y a pas de conflit entre les dispositions du Code pénal, qui sanctionnent une pratique sexuelle, et le droit à la santé des minorités sexuelles.

Deux ateliers organisés à l’intention des hommes de médias vous ont permis de valider récemment la charte des professionnels de médias pour une meilleure information en matière de SDSR pour tous. Pourquoi cette charte et en quoi sera-t-elle utile ?

En matière de Droit santé sexuelle et de la reproduction, l’information est une approche capitale. Et nous parlons d’information en termes de disponibilité des services, de tout ce qui peut contribuer à la prévention et des éventuelles structures de prise en charge et du plateau technique offert à la population et aux bénéficiaires dans le cadre des services de SDSR.

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Et comme l’a montré l’étude CAP évoquée plus haut, il y a un déficit au niveau de l’information. Et qui dit information parle forcément des médias. Nous travaillons sur une problématique de santé publique et cela ne relève pas de la seule compétence des organisations engagées pour la promotion de la santé ou des structures nationales engagées sur les questions de droit à la santé. Il faut un engagement au-delà de ces acteurs et cet engagement doit également prendre en compte les professionnels des médias.

L’information étant une approche clé dans la promotion de services susmentionnés et les acteurs de médias étant au cœur même du système de l’information, nous avons jugé bien de les sensibiliser sur la problématique de santé publique que représente les SDSR pour tous afin de voir comment on pourra, avec leur contribution, mieux servir le peuple togolais pour que tout le monde, sans exception, ait droit à la santé sexuelle et de la reproduction.

Cette charte n’est pas une nouvelle approche. Cela a été déjà fait avec le VIH/Sida et ça a porté ses fruits. Nous avons donc capitalisé cette expérience pour développer une autre charte qui est beaucoup plus globale vu qu’elle couvre les questions de la SDSR au sens le plus large.