(Société Civile Médias) – Au Togo, comme dans nombre de pays africains, la mortalité infantile constitue un problème majeur de santé publique. Comment ces milliers de mamans sevrées de l’affection de leurs bébés vivent-elles ce drame ? Quelles conséquences émotionnelles et psychiques pourrait avoir la perte d’un enfant sur la maman et sur la famille ?
« Trois ans après, c’est toujours un cauchemar pour moi surtout que je n’ai plus eu un autre enfant après la perte de mon premier-né. Entendre un bébé pleurer peut me rendre folle », raconte les yeux embués de larmes Folivi Abla, revendeuse de gari dans la localité de Wogba, un village proche de Vogan, à 55 km de Lomé.
Kékéli Abotsi, fonctionnaire à Lomé, a aussi perdu son enfant. Aujourd’hui, elle a réussi à passer le cap de la douleur. « Quelques fois, je regarde les photos de mon fils et je suis triste, mais je ne pleure plus », confie-t-elle.
Au Togo, ce sont des milliers de femmes qui perdent chaque année des bébés de moins d’un an dans des circonstances différentes.

Selon les chiffres de la Fiche des Données sur la Population Mondiale, on dénombre au Togo 44 décès infantiles pour 1 000 naissances vivantes entre 2021 et 2022. La Fiche des Données sur la Population Mondiale est un document publié annuellement par le Population Reference Bureau (PRB basé à Washington).
La perte d’un enfant est suivie d’une période de deuil vécue différemment d’une femme à l’autre. Selon Dr Kpassagou Bassantéa, psychologue clinicien, « toute perte crée une souffrance et peut avoir chez un patient des conséquences physiques et émotionnelles assez sévères ».
Cependant, au Togo, faire le deuil d’un enfant qu’on a perdu est une problématique assez récente. Pour Dr Kpassagou, la vision anthropologique de la grossesse dans la culture togolaise est liée une métaphore souvent employée : « c’est juste l’eau qui s’est renversée mais la jarre est toujours là et pourrait se remplir de nouveau ». C’est une sorte de réponse culturelle à une mortalité infantile jadis très élevée.
Cette formule vise à atténuer la douleur de la perte et redonner l’espoir d’une éventuelle nouvelle grossesse.
Pour Abalo Essohanam, une infirmière rencontrée à Vogan dont la seconde fille est décédée à 2 mois, cette période a été très difficile surtout sans le soutien du père et de la belle-famille. « Ne pouvant pas rejoindre mes parents qui vivent à l’extrémité nord du Togo, j’ai frôlé la dépression. J’ai eu par moments des envies de suicide… », a-t-elle déclaré avec une triste mine.
Faire un suivi psychologique après la perte d’un enfant n’est pas totalement intégré dans les mentalités sauf en cas de complication, comme le souligne Dr Kpassagou.
« Nous recevons en consultation des femmes qui développent des troubles mentaux assez graves après le décès de leur enfant. Mais, cela reste encore des cas très rares. Généralement, la femme gère sa souffrance seule dans son coin et il y a une pesanteur culturelle qui l’oblige à taire ce qu’elle ressent alors que certaines douleurs doivent être entendues chez le psychologue », explique-t-il.
Dans un pays de 8,4 millions d’habitants, selon nos propres estimations en se basant sur le taux de mortalité infantile indiqué par la Fiche des Données sur la Population Mondiale citée plus haut, au moins 8000 femmes entre 2021 et 2022 ont perdu leurs enfants avant le premier anniversaire.
L’une d’elles, Dédé Ekue, couturière à Vogan, raconte son calvaire après avoir perdu ses trois premiers bébés respectivement en 2008, 2011 et 2017.
Aujourd’hui, le regard de jadis porté sur la grossesse a changé. Dès qu’une grossesse survient, toute la communauté s’implique pour accueillir ce nouveau membre. Certains parents se permettent même de donner un nom à cet enfant en devenir et de lui donner déjà une place dans la famille. L’attente est élargie aux tantes, oncles, cousins et cousines, grands-mères et grands-pères de l’enfant à naître. Par conséquent, quand le bébé vient à mourir, la maman n’est plus la seule à porter le poids de la douleur mais plusieurs membres de la famille avec elle.
« Après le drame, le père était aussi bouleversé que moi », confie Kékéli Abotsi citée plus haut. « Il a décidé que ce n’est plus la peine que nous ayons d’autres enfants s’il fallait que je souffre autant. Nous nous sommes soutenus, tant bien que mal ». Dans certains cas, quand cet enfant censé vivre et grandir vient à décéder, le choc et le caractère particulièrement douloureux de cet évènement malheureux plonge souvent la maman dans le silence. A leur tour, les proches ont tendance à respecter ce silence pour ne pas « retourner le couteau dans la plaie ».
Selon Dr Kpassagou Bassantéa, « on ne peut plus se permettre aujourd’hui de banaliser la perte d’un enfant, même si c’est un fœtus. Il est temps de mettre la lumière sur ce drame, de permettre aux femmes d’extérioriser cette douleur et la chance d’en guérir. Le plus important est de construire un sens à ce qui est arrivé. Sans cela, l’impact de ce deuil non effectué subsiste toute la vie et agit sur les naissances futures ».
Parmi les femmes au Togo qui font le deuil de la perte de leurs enfants, il y en a qui n’auraient pas eu à traverser cette peine si l’accouchement ou la prise en charge post-natale s’étaient déroulés dans les normes.
Dans le cas des femmes ayant perdu un bébé par erreur médicale, « notre organisation propose une assistance juridique, médicale, sociale ainsi qu’un suivi psychologique », précise Marcus Dakla, juriste et responsable du département de protection des droits de l’Homme au CACIT (Collectif des Associations Contre l’Impunité au Togo).