Togo : Repenser le système éducatif pour l’accès des filles à une éducation de qualité

Société Civile Médias
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(Société Civile Médias) – En 2022, à seulement 8 ans de l’évaluation de l’agenda 2030, la situation de la scolarisation des filles reste encore préoccupante au Togo. Le taux de scolarisation est estimé à 55% chez les filles contre 78% chez les garçons. Cette baisse s’accentue dans les régions les plus pauvres. Dans la région des Savanes par exemple, le taux d’alphabétisation des femmes est de seulement 15%, tandis que celui des hommes est de 46% selon l’Unesco. A la lumière de ces statistiques révélatrices de l’ampleur du phénomène, il ressort des obstacles qui freinent l’éducation de nombreuses filles. Même si au cours de ces dix dernières années, les autorités togolaises ont multiplié des initiatives afin de mettre en place un environnement favorable à l’éducation des filles, qui soit sûr, accessible et aspirant, les résultats enregistrés sont en dessous des attentes et loin d’être rassurants.

Cette situation appelle à repenser le système éducatif togolais en faveur des filles. Un système qui permettra à long terme d’obtenir des résultats d’apprentissage plus équitables en faveur de ces milliers de filles qui sont privées de l’éducation pour la simple raison qu’elles naissent « filles ». Cette réflexion qui s’inscrit dans le cadre de la célébration de la journée internationale des femmes, propose des pistes de solutions innovantes pour permettre aux filles d’acquérir des compétences requises et une éducation de qualité qui constitue l’un des moyens les plus efficaces de développement, non seulement pour les filles elles-mêmes, mais également pour leurs familles, la communauté et le Togo tout entier. Placée cette année autour du thème « L’égalité des sexes aujourd’hui pour un avenir durable », cette journée met au centre le rôle essentiel des femmes dans l’orientation et la stimulation des changements en matière d’adaptation, d’atténuation et de solutions aux contraintes d’ordre climatique. Pour bien jouer leur rôle, elles ont besoin d’une éducation de qualité.

Des filles à l’école dans un village du Togo

Un triste constat dont les facteurs sont connus

Au cours de ces quatre (4) dernières années, dans le cadre de mon engagement dans la société civile togolaise ; j’ai rencontré de nombreux acteurs dont les femmes entrepreneurs de plusieurs localités et échangé avec eux. À maintes reprises, beaucoup de jeunes femmes m’ont dit que c’est grâce à l’éducation qu’elles ont trouvé leur voix et le soutien dont elles avaient besoin pour bâtir leur propre avenir. L’éducation ouvre sans nul doute la porte aux connaissances, aux opportunités et à l’autonomisation. Mais pourtant, nombreuses sont les causes à la base de l’exclusion scolaire des filles dans les différentes régions du pays. Les facteurs qui influencent l’accès et la rétention des filles à l’école sont complexes et dynamiques.

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Des milliers de filles ne sont pas scolarisées au cours primaire parce que souvent les familles privilégient l’éducation des garçons. Les conceptions ancrées concernant les rôles des filles comme dispensatrices de soins, mères, épouses et ménagères ; influent sur les perceptions de la valeur de l’éducation des filles et les choix de vie et de carrière qui leur sont disponibles. Pendant nos échanges avec les parents d’élèves dans certaines localités rurales, nombreux d’entre eux ont déclaré qu’ils allaient maintenir leurs fils à l’école plutôt que leurs filles s’ils sont obligés de faire un choix. Ces parents ont exprimé leurs inquiétudes que leurs filles ne se marient pas si elles restent à l’école. Ils étaient également incertains quant aux avantages qu’ils recevraient de l’éducation de leurs filles, étant donné que les garçons étaient destinés à être le chef de la famille et à prendre soin des parents, tandis que les filles rejoindraient une autre famille par le mariage. L’inégalité de l’éducation entre les sexes persiste et dure à l’image de la petite Akossiwa, en classe de CM2 que nous avons rencontré dans un petit village dans la région des Plateaux, au sud du Togo.

« Parfois nous revenons de l’école très fatiguées alors que nous sommes obligées de rejoindre nos parents au champ. Au retour, au lieu d’apprendre nos leçons, c’est la cuisine et après s’occuper de nos petits frères et sœurs. Le lendemain, on va à l’école la tête vide. Il y a des jours où les parents nous interdisent d’aller à l’école et nous allons les aider à faire la semence ou la récolte ».

Les raisons de la déscolarisation des filles sont aussi souvent liées aux questions d’argent. Les familles pauvres sont dans l’impossibilité de payer les frais de scolarité. Au Togo, moins des 2/3 des filles finissent leurs études primaires et seule une sur trois va au terme du premier cycle du secondaire. Au primaire, depuis plusieurs années, les frais de scolarité sont gratuits, mais les parents se plaignent que le coût des uniformes, des fournitures scolaires, du transport et des déjeuners de leurs filles sont trop élevés par rapport à ce que leur apporte l’école. Ces coûts financiers ont été cités à plusieurs reprises par les parents avec qui nous avons échangé, comme étant l’un des principaux facteurs expliquant le fait qu’ils ne scolarisent pas leurs enfants notamment les filles et qu’ils ne les maintiennent pas à l’école.

Les mariages forcés impactent l’éducation des filles ainsi que les grossesses non désirées. Le phénomène des grossesses et des mariages des filles devient de plus en plus récurrent dans les écoles au Togo, tendant à réduire l’effet attendu des efforts consentis par le pays dans le domaine de la scolarisation de la jeune fille. Entre 2014 et 2017, par exemple, les statistiques du ministère chargé des enseignements primaire et secondaire indiquent qu’au cours des trois années scolaires, 8833 cas de grossesses ont été enregistrés sur l’ensemble du pays. Cette situation n’épargne aucun niveau scolaire ni aucune région éducative. Les statistiques révèlent que 17,3 % de grossesses sont précoces et que 7,3 % des filles-mères ne sont pas encore majeures. C’est le cas par exemple de Afissa, une jeune fille de 16 ans en classe de 6e que nous avons rencontré dans un petit village au Nord du Togo qui s’est ouverte à nous en ces termes : « Puisque personne ne prenait soin de moi, j’ai reçu de l’argent et des cadeaux des hommes ; pour leur plaire, je devais avoir des relations sexuelles avec eux. C’est comme ça que je suis tombée enceinte à l’école … au début je voulais avorter, mais en essayant j’ai failli mourir… quant à l’homme responsable de ma grossesse, il ne prend pas soin de moi. Je me sens très triste de ne plus être à l’école, quand je vois mes amis vêtus de leurs uniformes, parfois je pleure. J’ai abandonné l’école à cause de cette grossesse et la vie m’est tellement insupportable ». Ces fléaux ont un impact considérable sur la vie des filles en termes de résultats sanitaires, sociaux, économiques et éducatifs.

Les filles, plus que les garçons, sont exposées à la maltraitance, aux violences physiques et morales et aux abus sexuels sur le trajet de l’école et au sein des établissements scolaires, de la part du personnel éducatif ou des garçons, ce qui conduit de nombreux parents à retirer leurs filles de l’école. Lorsque les filles sont forcées à se marier précocement, ou qu’elles sont touchées par la violence sexiste en milieu scolaire, comme par exemple la violence sexuelle ou physique sur le trajet de l’école ou à l’école même, les effets néfastes de cette violence peuvent durer tout au long de leur vie et elles ont plus de risques de décrocher de l’école ou d’échouer dans leur apprentissage, ce qui affecte gravement leurs perspectives d’épanouissement dans le futur. Même s’il n’existe pas des données récentes sur le phénomène, plusieurs cas sont régulièrement enregistrés dans les écoles au Togo.

Dans plusieurs localités du pays, beaucoup de filles ne vont pas à l’école quand elles ont leurs règles, car de nombreux établissements scolaires ne proposent pas d’endroit où elles peuvent se changer, ou alors parce que les protections hygiéniques coûtent cher et qu’elles sont forcées de rester chez elles. Au Togo, environs 31% des enfants dans les zones rurales ne disposent pas d’acte de naissance selon l’Unicef. Cette situation touche également les filles parce que ne possédant pas d’identité juridique et sans certificat de naissance, elles ne peuvent pas s’inscrire à l’école, passer d’examens scolaires, obtenir des diplômes et ne peuvent pas poursuivre leur éducation jusqu’au bout pour prétendre à un métier et sortir de la pauvreté. 

Une fille en classe

Effets positifs de l’éducation des filles

Nous sommes convaincus que l’éducation des filles, est un facteur constant et déterminant de progrès au regard de quasiment tous les indicateurs de développement, du recul de la mortalité, à la croissance économique en passant par la démocratie et l’équité. Les ODD réaffirment à nouveau le droit à l’éducation pour tous, notamment des filles. Plusieurs cibles de l’objectif 4 mentionnent ce droit fondamental des filles. C’est le cas par exemple de la cible 2 « D’ici à 2030, faire en sorte que toutes les filles et tous les garçons aient accès à des activités de développement et de soins de la petite enfance et à une éducation préscolaire de qualité qui les préparent à suivre un enseignement primaire», et plus encore de la cible 4.3 « D’ici à 2030, faire en sorte que les femmes et les hommes aient tous accès dans des conditions d’égalité à un enseignement technique, professionnel ou tertiaire, y compris universitaire, de qualité et d’un coût abordable ».

On ne cessera jamais de le dire, l’éducation permet aux femmes d’exercer des activités rémunératrices, de participer aux revenus du ménage et d’acquérir une autonomie économique et sociale. Une fille instruite peut prendre sa vie en main. Sensibilisée à l’importance de l’éducation, elle veille à ce que ses enfants aient une éducation de qualité et lutte ainsi à son tour contre les discriminations dont sont victimes les filles, comme le mariage forcé et les grossesses précoces, le travail infantile et la déscolarisation. Selon la Banque Mondiale, chaque année d’enseignement secondaire permet aux filles d’accroître leur salaire à l’âge adulte dans une proportion pouvant aller jusqu’à 25 %. Au regard de notre expérience, il est clair qu’au Togo, les femmes qui travaillent et possèdent une bonne connaissance de la lecture et de l’écriture gagnent mieux que les femmes dont l’aptitude à lire et à écrire est faible ou inexistante. L’instruction permet aux femmes de jouer un rôle économique accru au sein de leur famille et de leur communauté ; elles réinvestissent pratiquement la totalité de leurs revenus dans le cadre familial.

L’investissement dans l’éducation des filles contribue aussi à repousser l’âge auquel celles-ci se marient et procréent. Si l’ensemble des filles du Togo bénéficiaient d’une éducation secondaire, les mariages d’enfants chuteraient considérablement, de même que les grossesses précoces enregistrées dans nos milieux. Au niveau de la société togolaise, l’accroissement du nombre de filles instruites a pour effet d’augmenter le nombre de dirigeantes, de ralentir la croissance démographique et donc d’atténuer les pressions liées au changement climatique.

A titre illustratif, le Togo a enregistré au cours de ces cinq (5) dernières années une progression considérable des femmes à des postes de responsabilité et dans l’entrepreneuriat. Ainsi, depuis septembre 2020, la deuxième figure de l’Exécutif togolais, après le Président de la République, est incarnée par une femme, Victoire Tomégah-Dogbé, qui conduit l’équipe gouvernementale. La présidence de l’organe en charge de l’adoption des lois et du contrôle de l’action gouvernementale, l’Assemblée nationale, est également assurée par une femme, Yawa Djigbodi Tsègan, depuis juillet 2018. La promotion de la gent féminine à des fonctions dirigeantes s’est traduite également par la nomination de Sandra Ablamba Johnson au poste de Secrétaire Générale de la Présidence de la République togolaise, de Awa Nana-Daboya comme Médiateur de la république, et de plusieurs autres au gouvernement comme à des postes électifs. La proportion des femmes propriétaires d’entreprises est évaluée aujourd’hui à plus de 22%, et celle des femmes ayant accès au crédit à 45%.

Les répercussions de l’éducation des filles sur la croissance économique nationale sont indéniables selon la Banque Mondiale. Une augmentation d’un point de pourcentage de l’instruction des filles entraîne un accroissement du produit intérieur brut (PIB) moyen de 0,3 point et un relèvement du taux de croissance annuel du PIB de 0,2 point.

Des solutions innovantes pour l’amélioration de l’éducation des filles au Togo

L’éducation des filles n’est pas seulement une nécessité morale. C’est aussi un facteur de développement économique et social. Permettre aux filles togolaises de grandir et de contribuer à la société en tant qu’adultes est essentiel pour mettre fin à la pauvreté et promouvoir une prospérité partagée. Je suis convaincu que l’éducation des filles au niveau de l’enseignement tant primaire que secondaire permet de s’attaquer aux causes profondes de la pauvreté. Ce qui compte, en outre, ce n’est pas seulement le temps passé en classe, mais aussi les compétences acquises. Ma proposition en matière de l’éducation des filles s’articule autour de plusieurs stratégies pertinentes qui devront permettre l’amélioration de la scolarisation des filles et l’atteinte de l’égalité des genres dans l’éducation au Togo.

Les programmes d’alimentation scolaire ont donné des résultats positifs dans le renforcement de la scolarisation et de la rétention des enfants et surtout des filles à l’école. Au Togo, le programme des cantines scolaires qui concernent les élèves du préscolaire et primaire de l’enseignement public, a contribué à l’amélioration du taux de scolarisation de 9,4%. Ce programme encourage donc les enfants à aller à l’école et à y rester, augmentant ainsi le taux de scolarisation des filles et de fréquentation, et réduisant l’absentéisme. La mise en place des cantines dans toutes les écoles du Togo va contribuer à l’augmentation considérable des effectifs en classe, notamment des filles, l’amélioration des capacités d’apprentissage grâce à une meilleure attention des enfants, ainsi que des résultats scolaires en progression avec une baisse du taux de redoublement et d’abandon et un meilleur taux d’achèvement. Ces cantines scolaires vont contribuer plus largement à briser le cercle de pauvreté en encourageant notamment les familles défavorisées à envoyer et maintenir leurs enfants à l’école, particulièrement les filles.

Aussi, je pense que la réussite scolaire des filles est liée à la présence d’enseignantes qui peuvent jouer un rôle de modèles auprès des filles. Les enseignantes peuvent également faire en sorte que les classes apparaissent comme des lieux plus sûrs et plus accueillants pour les filles et les jeunes femmes, les encourageant ainsi à poursuivre leur éducation. Au Togo, Les enseignantes sont particulièrement sous représentées, en particulier au secondaire. Il y a de nombreuses preuves de l’influence positive que les enseignantes peuvent avoir sur la scolarisation des filles, leur rétention à l’école et les résultats d’apprentissage. Bien formées, soutenues et motivées, les enseignantes peuvent agir comme des modèles de fonction professionnelle pour les filles, en leur offrant une alternative aux rôles traditionnels des femmes dans la communauté. La présence des enseignantes dans les écoles peut aussi aider à créer un environnement d’apprentissage plus « accueillant pour les filles », dans lequel les besoins et points de vue des filles sont plus susceptibles d’être compris et traités.

Autre facteur important à prendre en compte, les distances parcourues par les filles pour se rendre à l’école. La question de la distance est particulièrement préoccupante pour les filles en raison des considérations de sécurité et de sûreté sur ces trajets. Sur ce point, je pense que la réduction de la distance pour se rendre à l’école permet d’augmenter le taux de fréquentation des filles. La construction d’écoles de proximité et d’internats pour filles est une solution efficace pour améliorer la scolarisation des filles. Au cours de nos échanges avec les parents, certains ont noté que la vulnérabilité des filles à la violence et aux abus sexuels pendant le trajet a été un facteur clé de l’abandon de l’école par leurs filles. Au secondaire, les possibilités dans les zones rurales comprennent des internats ou des locations de chambres, en ville. Ces deux options impliquent, toutefois, des coûts supplémentaires qui doivent être supportés par les budgets familiaux limités. Les parents ont également souligné les risques d’exploitation sexuelle et de violence auxquels les filles font face en vivant seules dans les villes. Le Togo investit dans des projets d’envergure de construction d’écoles. Un certain nombre d’approches innovatrices aident à faire en sorte que ceux-ci répondent aux besoins de chaque collectivité.

Enfin, l’amélioration des conditions d’études (construction de latrines, électrification des classes, manuels pédagogiques non sexistes et adaptés) et la formation des enseignants (approches pédagogiques sensibles au genre) sont aussi des facteurs pertinents pour l’amélioration de l’éducation des filles au Togo. Ceci passe par l’examen et la révision du matériel pédagogique et le programme d’enseignement afin de s’assurer qu’ils sont exempts de stéréotypes et de préjugés liés au genre, et qu’ils répondent aux besoins des filles. S’assurer qu’il y a suffisamment d’enseignants dans les écoles est un élément à prendre en considération. Il est également important de veiller à ce que l’enseignement qu’ils offrent soit de bonne qualité et respecte l’égalité entre les sexes. Les pratiques pédagogiques doivent alors répondre aux besoins d’apprentissage individuels des filles et doivent être mises en place dans un environnement d’apprentissage sûr et positif.

Chacun des acteurs a un rôle à jouer pour veiller à ce que toutes les filles togolaises aient non seulement la possibilité d’aller à l’école, mais également la chance de recevoir une éducation qui leur donnera les compétences et les atouts essentiels pour déterminer et préserver leur propre avenir. Dans cet élan, Les écoles doivent également assumer la responsabilité d’offrir un environnement sûr et respectant l’égalité des sexes, où les filles peuvent obtenir des qualifications et des compétences pour s’assurer l’avenir qu’elles auront choisi. Enfin, Les filles doivent être habilitées à jouer un rôle actif dans la sécurisation de leur propre avenir et les communautés doivent être encouragées à participer et à soutenir leur propre développement en modifiant leurs attitudes culturelles et sociales envers les femmes.

Samiroudine OURO SAMA

Juriste, Acteur de la Société Civile, Président de l’association ICJ-VE

Contacts : +228 90699822/97313991 ; e-mail : samir1991.ourosama@gmail.com