Togo : Brice BANDO « Que l’Etat pense à l’inclusion systématique des personnes en situation de handicap dans les différents secteurs de la vie »

Jean de Dieu SOVON
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(Société Civile Médias) – Une personne en situation de handicap est un être humain comme les autres. Pourtant, combien ne sont-ils pas à subir indifférence et discrimination parce que vivant avec des déficiences physiques, mentales, ou sensorielles. Cette discrimination se manifeste sous différentes formes et peut, malheureusement, avoir des effets néfastes sur la vie des personnes concernées. Dans cette interview, Brice P’tanam BANDO, juriste et consultant sur les questions de Handicap à la FETAPH (Fédération Togolaise des Associations de Personnes Handicapées) revient sur la thématique du handicap. Il évoque les mécanismes de protection des droits des personnes en situation de handicap et appelle l’Etat à les inclure dans les politiques de développement. Lecture !

M. Brice P’tanam BANDO, pour commencer, dites-nous ce que c’est que le Handicap ?

Merci pour l’intérêt porté à la thématique du handicap, qui est une vieille thématique et en même temps une question d’actualité, parce évolutive et méritant d’être actualisée au quotidien. En fait, c’est une thématique qui fait appelle à beaucoup d’orientations.

Si nous voulons comprendre le handicap, il faut d’abord le définir et ensuite aborder ce qu’est la personne handicapée. De façon simple, le handicap est un désavantage qui limite la participation d’une personne à une activité quotidienne. Il faut retenir que selon la Convention relative aux Droits des Personnes Handicapées, on entend par personne handicapée, toute personne présentant une ou des incapacités durables, qu’elle (s) soi(en)t sensorielle, physique, mentale ou intellectuelle dont l’interaction avec diverses barrières peut limiter la pleine et effective participation de cette personne aux activités de la société sur la base de l’égalité avec les autres

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Quels sont les différents types de handicap que nous avons ?

En termes de types de handicap, nous avons quatre grandes familles au sein desquelles se retrouvent des sous-catégories. Il y a le handicap physique ou moteur dans lequel nous avons les personnes handicapées au niveau des membres supérieurs et/ou inférieurs, la paraplégie, l’hémiplégie et bien d’autres encore. Dans ce cas, c’est un élément de la motricité qui est atteint chez la personne. Il y a également le handicap sensoriel qui touche essentiellement les organes sensoriels (l’œil ou l’oreille). On parle alors du handicap visuel et du handicap auditif. Nous avons aussi le handicap mental qui touche le système mental, notamment la réflexion. Dans cette catégorie, se retrouvent les personnes atteintes de la trisomie 21, les personnes atteintes des troubles d’autisme. Il y a aussi le handicap psychique qui est souvent la résultante des maladies mentales mal prises en charge.

On constate souvent que les personnes en situation de handicap sont victimes de discrimination. A quoi est due cette discrimination ?

Selon l’Observation générale n ° 5 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, « La discrimination contre les personnes handicapées a une longue histoire et prend des formes diverses. Ces formes vont de la discrimination odieuse comme le déni des possibilités d’éducation, à des formes plus ‘‘subtiles’’ comme la ségrégation et l’isolement obtenus par l’imposition de barrières physiques et sociales ».

En fait, par discrimination, il faut entendre tout traitement négatif qui ne valorise pas le droit d’une personne. Dans notre cas, on parle de discrimination fondée sur le handicap parce que c’est le facteur handicap qui constitue l’élément essentiel de la discrimination. On discrimine cette personne du fait qu’elle soit en situation de handicap. Ce qui est condamnable. Je citerai l’exemple d’une société où deux personnes (une handicapée et l’autre non)à diplôme égal occupent des postes de responsabilité similaire. Et quand il s’agit d’aller en mission, le premier responsable préfère envoyer toujours la personne non handicapée sous prétexte qu’elle n’aura pas de difficultés majeures. Et pourtant, le profil qui cadre le mieux pour cette mission, est celui de la personne handicapée. Mais du fait de son handicap, le responsable peut décider de ne pas l’envoyer. Dans ce cas, c’est une discrimination fondée sur le handicap.

De même, dans le cadre d’un concours recrutement, les critères de participation qui vise l’aptitude physique constitue également une discrimination. Ça veut dire que de facto, on exclut la candidature de la personne handicapée.

Quel mécanisme est prévu au niveau national pour protéger les droits des personnes handicapées ?

En matière de protection des droits des personnes handicapées, il faut dire que des efforts ont été faits au niveau de l’Etat togolais. Nous avons pratiquement ratifié toutes les 9 conventions internationales qui font la promotion et la protection des droits de l’Homme. Toutes ces conventions parlent de façon indirecte des droits des personnes handicapées. Mais de façon spécifique, en 2011, le Togo a ratifié la Convention internationale relative aux Droits des Personnes Handicapées qui est en quelque sorte la ‘’bible’’ de la promotion des droits des personnes handicapées.

Quand on prend le cadre légal, tous ces textes internationaux sont applicables au Togo et il y a un mécanisme qui est déjà enclenché. Au plan interne, notre constitution, dans ses articles 33 et 35, prévoient expressément les mesures pour faciliter l’inclusion de la personne handicapée. Les différentes lois notamment le Code de l’enfant, le Code des personnes et de la famille, le Code du travail, le Code de la sécurité sociale et bien d’autres textes encore sont aussi les dispositions légales que le Togo a pris pour faciliter la prise en compte ou la réalisation des droits des personnes handicapées.

Au niveau institutionnel, nous pouvons citer la Cour constitutionnelle dans une moindre mesure puisqu’elle est appelé à se prononcer sur la constitutionalité des lois. Étant donné qu’il y a une loi de protection des personnes handicapées, qu’elle a eu à analyser et qu’elle a accepté après adoption, c’est qu’elle constitue d’une manière ou d’une autre, un élément du mécanisme de protection des droits des personnes handicapées. On peut également citer les différents ministères, la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH), la Direction des personnes handicapées qui est logée au niveau du Ministère de l’Action Sociale, le centre nationale de l’appareillage orthopédique qui s’occupe de toutes les questions liées à la réadaptation physique des personnes handicapées. Autant de mécanismes et d’institutions étatiques qui ont été créés pour promouvoir les droits de la personne handicapée.

A côté des mécanismes étatiques, on note également l’existence des acteurs non étatiques. La Fédération Togolaise des Associations des Personnes Handicapées (FETAPH) et l’ensemble de ses partenaires (Handicap international, Cbm, etc), la Coalition Nationale Education pour tous (CNEPT) qui font un travail fort et louable aux côtés de l’Etat.

Revenons un peu Convention relative aux Droits des Personnes Handicapées. Qu’est ce que c’est et que retenir d’elle ?

La Convention relative aux Droits des Personnes Handicapées a été adoptée par les Etats membres des Nations Unies en 2006 et ratifiée par le Togo le 1er mars 2011. C’est une convention qui, au plan international, est venu prévoir les mesures spécifiques de protection de la personne handicapée. Elle prévoit des dispositions particulières pour faciliter la réalisation des droits des personnes handicapées. Elle est composée de 50 articles et prévoit au même moment des mesures spécifiques d’inclusion de la personne handicapée mais également des mesures contraignantes aux Etats parties pour faciliter la mise en œuvre des différentes dispositions. Comme mesure spécifique, la convention a expressément prévue qu’il faille que les Etats agissent beaucoup sur la dimension de la sensibilisation des communautés pour permettre la compréhension de la thématique du handicap et l’acceptation de la personne handicapée au sein de sa société.

Un message à l’endroit de la population pour que le vivre ensemble soit vraiment effectif dans notre société ?

Notre message ira à trois cibles. D’abord la personne handicapée elle-même pour lui dire d’accepter son handicap pour pouvoir mieux vivre. Puisqu’il n’est pas facile d’être en situation de handicap et quand on ne l’accepte pas, on se culpabilise. Ce qui fait qu’on est plus vulnérable et on s’expose à d’autres situations. Il faut juste accepter le handicap et aller de l’avant.

Ensuite aux parents, nous leur demandons d’accepter leurs enfants handicapés tels qu’ils sont et de les accompagner dans leur vie quotidienne. Parce que peu importe le handicap de la personne, que ce soit physique, sensoriel, mental ou psychique, elle a besoin continuellement d’être soutenue. Et le parent est le premier acteur de promotion de son droit. Il est donc important que les parents soient également les promoteurs des droits de leur enfant.

A l’Etat, nous demandons de prévoir des mesures d’accompagnement et d’inclusion, de penser à la personne handicapée dès lors qu’on initie toute initiative de développement communautaire ou de développement national. Que l’Etat pense à l’inclusion systématique de la personne handicapée dans les différents secteurs de la vie. Car, aller au développement en laissant de côté 15% de la population, c’est énorme et ça sera un développement raté.

Propos recueillis par Jean de Dieu SOVON