Togo-Décentralisation: Conflit pouvoir-élus locaux, quelle analyse faire de la lettre du maire FABRE au Premier ministre ?

luzdelsol668
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(Société Civile Média) – La démarche de Jean-Pierre FABRE, maire élu de la commune de Golfe 4 Amoutivé, visant à arrêter le processus d’appel d’offre en cours pour la reconstruction du grand marché de Lomé, a fait couler beaucoup d’encre et de salive en début de semaine. Mieux, elle donne raison à ceux qui prédisaient la récurrence de conflits entre élus locaux de l’opposition et pouvoir central après les locales de juin dernier. Mais au-delà des tiraillements et débats, parfois très passionnés, que suscite la lettre envoyée par le Maire de Golfe 4 au Premier ministre,  une question se pose : M. Fabre, en sa qualité de maire de cette commune, est-il dans ses droits en initiant une telle démarche ? Si oui, a-t-il les prérogatives pour demander la suspension du processus d’appel d’offre ? Cette situation mérite donc d’être clarifiée pour situer l’opinion publique.  

A en croire les spécialistes de la décentralisation et de la gouvernance locale, la démarche du maire de la commune de Golfe 4 est à analyser sous deux angles : la forme et le fond.

Sur la forme

En ce qui concerne la forme, un maire a-t-il le pouvoir d’adresser directement une correspondance au Premier ministre ? A cette question, les spécialistes du domaine répondent par le négatif.

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Selon Pascal AGBOVE, expert en Décentralisation et Gouvernance locale, pour faire parvenir son courrier au Premier ministre, le maire doit s’adresser au représentant de l’Etat qui dirige son ressort territorial, c’est-à-dire le préfet.

« Il y a des représentants de l’Etat dans chaque préfecture, ce sont les préfets. Pour des cas comme celui du maire de Golfe 4, il faut d’abord envoyer la lettre au préfet qui se charge, à son tour, de le faire parvenir au Premier ministre. Est-ce que la lettre de Jean-Pierre Fabre a été directement envoyée au Premier ministre ou via le préfet ? Il faut chercher à en savoir plus sur cet aspect pour voir s’il n’y a pas eu vice de procédure », indique M. AGBOVE.

L’autre aspect concernant la forme est celui relatif à la décision même de M. FABRE de saisir le chef du gouvernement. Une démarche que certains ont ouvertement critiquée, estimant que « le petit maire » qu’il est ne lui donne pas le droit d’adresser une telle correspondance à Selom KLASSOU.

Faux, fait savoir Pascal AGBOVE d’après qui le ‘‘principe de consultation préalable’’ oblige l’Etat à consulter les élus locaux s’il veut réaliser certaines actions ou projet sur leur territoire.

« En tant qu’élu local, le maire ne peut pas se lever un beau matin et constater que l’Etat est en train de réaliser de grands travaux sur son territoire sans qu’il ne soit prévenu au préalable. Les choses ne peuvent plus désormais se passer comme ça. Voila ce qui explique le principe de consultation préalable. Les maires étant les premiers magistrats de leur territoire, ils doivent être informés de tout projet d’envergure prévu dans leur commune», explique le Directeur exécutif de l’ONG IJD (Initiatives des Jeunes pour le Développement).

«  Nous venons de terminer les élections locales, alors que la démarche pour la reconstruction du grand marché de Lomé a été entreprise par l’Etat depuis bien longtemps. Les autorités ont peut-être déjà engagé certaines actions pour le démarrage des travaux. A cette étape, l’Etat peut poursuivre le processus. Mais comme nous venons d’élire les conseillers municipaux et qu’il se fait que les travaux se déroulent sur leur territoire, il suffit juste de les informer de la suite », ajoute M. AGBOVE. Toutefois, il relativise en estimant que l’Etat pourrait ne pas respecter le principe de consultation préalable s’il estime que les nouveaux élus locaux n’ont pas encore officiellement pris fonction. Et de poursuivre en se demandant si les nouveaux maires ont le pouvoir  d’adresser des correspondances au pouvoir central (comme l’a fait Jean-Pierre FABRE) sachant qu’ils ne sont pas encore entrés en fonction.

Sur le fond du courrier du maire FABRE

Dans sa correspondance, M. FABRE demande au Premier ministre de suspendre  le processus d’appel d’offres en cours et de transférer, pour attribution au Conseil Municipal de la commune de Golfe 4 Amoutivé, de l’intégralité du dossier de la reconstruction du Grand marché de Lomé ainsi que tous les autres dossiers relevant des compétences de la Commune de Golfe 4 Amoutivé. Il rappelle au chef du gouvernement que le site du Grand Marché de Lomé, se situe sur le territoire de la commune de Golfe 4 Amoutivé. « La loi portant modification de la loi N° 2007-011 du 13 mars 2007, relative à la décentralisation et aux libertés locales, modifiée par la loi N°2018-003 du 31 janvier 2018, précise en son article 82 que ‘‘la construction et la gestion des marchés et abattoirs locaux » relèvent de la compétence propre des Maires’’ », a-t-il tenu à préciser. Le communiqué de presse du maire FABRE précise par ailleurs ceci : « L’avis d’appel d’offres précité, indique également que le gouvernement togolais a mobilisé des fonds à travers la primature, pour la reconstruction du Grand Marché de Lomé. Naturellement, le Maire de la commune de Golfe 4 Amoutivé demande, dans sa lettre précitée, que l’utilisation de ces fonds soit gelée jusqu’à la reprise du processus d’appel d’offres par le Conseil Municipal de Golfe 4 Amoutivé qui, en temps opportun, demandera la mise à disposition de ces fonds en vue de l’exécution du projet ».

Des demandes que certains trouvent légitimes et que d’autres jugent au-delà des compétences du maire de la commune de Golfe 4 Amoutivé.

Suivant le ‘‘principe de subsidiarité’’, les experts en décentralisation estiment que l’Etat ne peut confier aux collectivités que les compétences qu’elles peuvent exercer et non des compétences qui dépassent leurs capacités. Le grand marché de Lomé étant un marché national, sa reconstruction ne peut relever que de la compétence de l’Etat.

« En tenant compte de l’envergure de ce marché et de la somme colossale qui sera décaissée pour sa reconstruction, l’Etat ne peut pas confier ce travail à la mairie de la commune de Golfe 4. La réalisation de ce projet est plutôt de son ressort. Ainsi, le maire FABRE ne peut donc demander ni que les dossiers de l’avis d’appel d’offre soient transférés à son niveau, ni la mise à la disposition de sa commune, au moment opportun, des ressources pour la reconstruction du marché », explique Pascal AGBOVE. « Quand l’Etat aura à choisir l’entreprise qui sera chargée d’exécuter les travaux, il doit informer le maire et demander la collaboration de la municipalité pour la bonne exécution du projet », ajoute l’expert en Décentralisation.

D’après M. AGBOVE, contrairement à ce que beaucoup pensent, il y a des projets qui ne peuvent relever de la compétence des communes, vu qu’elles ne peuvent en exécuter que ceux qui correspondent à leur taille, leur mode d’organisation et leurs moyens.

« L’Etat ne peut pas, par exemple, demander aux communes de construire des lycées. Même la construction des collèges n’est pas du ressort des communes. La construction des lycées est du ressort des conseillers régionaux et celle des universités est du ressort de l’Etat. Ce sont des projets dont la réalisation coûte beaucoup d’argent et on suppose qu’une commune ne peut pas s’en occuper. Les Centres hospitaliers universitaires (Chu), les aéroports, c’est l’Etat qui s’en occupe. Les petites structures comme les Centres médico-sociaux peuvent être confiées aux communes », souligne M. AGBOVE.