REFLEXION/Liberté de la presse et régulation de la HAAC : quelques considérations à propos de certaines décisions de la Cour constitutionnelle du Togo

luzdelsol668
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(Société Civile Média) – « Il faut rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». Ce célèbre adage résume un peu l’état d’esprit dans lequel nous nous trouvons, confronté à la rédaction de cette réflexion. La Cour constitutionnelle, à tort ou à raison, n’est pas reconnue dans le paysage des institutions de la République comme celle qui protège le plus les droits humains. Cette conception mérite d’être relativisée. Et en ce jour où nous célébrons la Journée internationale de la liberté de la presse, il est important de mettre sous le feu des projecteurs l’apport de cette Cour à la protection de la liberté de la presse en général dans notre pays.

Par Syril AGBLEGOE, doctorant en droit

Juriste au CDFDH

Tout commence par l’article 104 al 5 de la Constitution togolaise. De ce dernier il ressort : « aux mêmes fins les lois organiques avant leur promulgation, les règlements intérieures de l’Assemblée National et du Senat, ceux de la Haute autorité de l’Audiovisuel et de la communication et du Conseil Economique et Social avant leur application doivent être soumis à la Cour constitutionnelle.»

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Le contrôle des lois organiques et des règlements intérieurs des institutions de la République , impliquées dans la protection des droits de l’homme, institué par les rédacteurs de la constitution de 1992, s’inscrit dans la logique d’éviter que ces institutions sus visées, ne s’auto-octroient au travers de leurs règlements intérieurs ou lois organiques, des compétences ou pouvoirs susceptibles de porter, dans leur mise œuvre, des atteintes grave aux droits de l’homme. La Haute Autorité de l’Audio-visuel et de la Communication, a en effet pour mission de garantir et d’assurer la liberté et la protection de la presse et autre moyens de communication de masse. Mais, on reste en accord avec LE Baron de la Bréde, connu sous le nom de MONTESQUIEU qui affirmait « qu’il est un principe éternel que tout homme qui a le pourvoir à tendance à en abuser. Pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». C’est exactement ce qui s’est passé dans la dialectique que la HAAC à entretenue avec la Cour constitutionnelle il y a de cela quelques années.

En effet la décisionN°C-003/11 du 22 juin 2011 de la Cour constitutionnelle du Togo, donne véritablement raison aux craintes des constituants de 1990 qui, à raison finalement, se méfiaient des tendances liberticides de certaines institutions. Par lettre du 08 juin 2011, le Président du bureau d’âge de la HAAC sollicite le contrôle de constitutionnalité du règlement intérieur de ladite institution. La Cour constitutionnelle a, dans un raisonnement qui parait clair, extirper les abus de pouvoir que ce texte peut entraîner. La Cour affirme que « Considérant, en effet, d’une part, que l’article 6, 6ème tiret qui dispose que le Président de la HAAC préside les réunions de la HAAC et celles du bureau et qu’à ce titre, il prend les sanctions prévues à l’article 60 et suivants de la loi organique n°2009-029 du 22 décembre 2009, sur rapport du comité technique compétent et après délibération des membres de la HAAC », est contraire à ladite loi organique. De même elle a invalidé l’article 30 en ce qu’elle élargit de façon abusive la compétence de l’institution. En guise de réponse ou de riposte, La HAAC a entrepris une modification de sa loi organique non seulement pour faire passer les dispositions du règlement intérieure déclarée non conforme mais aussi pour s’octroyer d’autres pouvoirs. Saisie par le Président de la République, qui sollicite le contrôle de conformité à la Constitution de la loi organique portant modification de la loi organique n°2009-029 du 22 décembre 2009 relative à la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication, la Cour constitutionnelle , dans sa décision du 20 mars 2013, après analyse, article par article, de la loi organique adoptée le 19 février 2013 affirme d’abord que « les articles 58, 60 premier, cinquième et sixième tirets, 62, dernier tiret et 63, troisième et quatrième tirets, en reconnaissant à la HAAC compétence pour interdire une publication ou retirer définitivement l’autorisation d’installation ou la carte de presse ne sont pas conformes à la Constitution », ensuite elle considère que « l’article 64 de la loi organique soumise au contrôle de la Cour, en reconnaissant des pouvoirs exorbitants au président de la HAAC en cas « d’urgence » et de « circonstances exceptionnelles » méconnaît le caractère collégial de l’institution et tend à lui conférer des pouvoirs relevant du champ d’application de l’article 94 de la Constitution », enfin la Cour considère que, « l’article 67 de la loi organique, érige la HAAC en un organe disciplinaire qui peut organiser des séances d’auditions publiques ; qu’il n’y a aucun lien hiérarchique entre les organes de presse et la HAAC qui puisse justifier une telle compétence et que la HAAC n’est pas un organe juridictionnel pour organiser des séances d’audition publiques. Qu’il en résulte que ladite disposition n’est pas conforme à la constitution ; Qu’en conséquence la présente loi organique soumise au contrôle de conformité doit être purgée de toutes les mesures consistant en une interdiction ».

Hier encore comme dans le cas des radios Xsolaire ou Nostalgie, la HAAC pouvait fermer des radios, interdire une publication ou retirer une autorisation ou une carte de presse, aujourd’hui, grâce au recadrage de la Cour constitutionnelle, obligation lui faite de saisir les juridictions judicaires. Cette procédure a trouvé une illustration concrète dans la récente affaire de retrait de récépissé de déclaration de parution n°0410/28/10/10/HAAC du mensuel ‘’La Nouvelle’’. Que la justice fasse son travail en toute indépendance, c’est le bien qu’on puisse souhaiter.

Dans une perspective de droit comparer, la décision du 13 juillet 1995 de la Cour constitutionnelle béninoise pour briser les ailes autoritaires et liberticides que voulait s’octroyer la HAAC, via son règlement intérieur est assez édifiante. Dans son office le juge béninois dans un premier temps, exige que, soit reformulé un certain nombre de dispositions . C’est le cas notamment de l’article 6 alinéa 2 parce que ne « prenant pas en compte le respect des droits de la défense ». Dans un second temps, il déclare non conforme à la Constitution, bon nombre d’article notamment l’article 35 en ce qu’il attribue compétence au service des affaires juridiques, de prendre des sanctions au nom de la HAAC, l’article 44 , l’article 72 en ce qu’ils donnent la possibilité à la HAAC , de se saisir d’office et l’article 80 en ce qu’il déclare non susceptible d’aucun recours, les décisions disciplinaires. Enfin la Haute Cour exige que, soient expressément mentionnées dans le règlement intérieur, des dispositions devant permettre de veiller au respect de l’accès équitable de toute personne physique ou morale aux moyens officiels d’information et de communication.

En ce jour de célébration de la journée mondiale de la presse, « Rendons à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à la Cour Constitutionnelle, ce qui est à la Cour constitutionnelle »