DOSSIER-Bénin: EPP Atohoué ou le vrai visage du système éducatif béninois ?

luzdelsol668
13 Min Read

(Société Civile Média) – Les maux dont souffre le système éducatif béninois sont nombreux et multiformes. Loin de tous les regards curieux, quelque part dans l’arrondissement d’Aplahoué (155 km au sud-ouest Cotonou), se trouve une école primaire publique toute particulière. Cet établissement, si on peut l’appeler ainsi, incarne à elle seule les handicaps de l’école béninoise. L’école primaire publique d’Atohoué, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, fait partie des écoles primaires béninoises qui tentent tant bien que mal de résister devant les tristes réalités d’un système éducatif qui peine à retrouver ses lettres de noblesse.

Trois cabanes en guise de salles de classe, une cabane servant de direction, un hangar comme cantine scolaire et le plus luxueux, une baraque en feuille de tôle servant de magasin de vivres pour le compte de la cantine scolaire. Voilà en quoi se résume l’école primaire publique d’Atohoué, située à près de 20 kilomètres du tribunal de première instance d’Aplahoué, loin de tous les regards et dans les champs. Elle reste la concentration de presque tous les maux de l’école béninoise avec des acteurs aussi particuliers les uns comme les autres.

Il sonnait 8heures 40 minutes quand notre équipe fit son entrée dans cette école aussi particulier que rocambolesque. En effet, située à environ deux kilomètres des rives du fleuve Mono dans la partie béninoise, cette école primaire publique semble la plus éloignée des grandes agglomérations du côté gauche de la route nationale inter-Etat N°4 (RNIE4), en quittant le centre-ville d’Aplahoué pour la frontière bénino-Togolaise à Tohoun. Pour y accéder, c’est la croix et la bannière. Il n’y a pas de saison favorable. En saisons pluvieuses, comme en saison séche, il faut être gymnaste professionnel pour se rendre à l’EPP Atohoué. Pourtant, cette écoles vit et de nombreuses âmes y vont pour acquérir des connaissances.

« Notre école est créée en 2008 par le sieur Jacob Adjahossou. Elle a déjà connu la succession de quatre (04) directeurs mais pauvre en infrastructures scolaires, seulement trois (03) cabanes qui abritent ses cinq (05) groupes pédagogiques et un hangar de trois mètres carrés coiffé de tôles et entouré des claies et branches de palme servant de direction. Ce n’est que tout récemment qu’une famille de la localité nous a donné des feuilles de tôle pour construire le magasin pour le stockage des vivres pour la cantine scolaire », nous fait savoir l’actuel directeur de cette école. Malgré ses 11 années, l’Ecole Primaire Publique d’Atohoué est privée du minimum : pas d’eau, pas d’électricité, pas de toilettes, offrant à ses usagers et apprenants une vie d’enfer. L’éducation de qualité y demeure un luxe.

- Advertisement -

Une école aux mille et un problèmes…

Très tôt, la déception s’est emparée des parents qui ont salué la création de cette école. Ceci, en raison de la qualité peu satisfaisante des services qu’offre ce lieu du savoir à ses bénéficiaires. « Je me suis encore résolu à ramener les enfants au village à cause de l’état et du mauvais fonctionnement de cette école. Je suis simplement déçu », regrette Balo N’Towoussi, un parent d’élève, qui se plaint des balades incessantes et inutiles de ses enfants sur les sentiers de l’école. « La régularité des enseignants laisse à désirer dans cette école. C’est rarement que les enfants travaillent dans cette école du lundi au vendredi à cause de l’absentéisme des enseignants. Même si l’actuel directeur fait des efforts. Nos cabanes sont très distantes de l’école et quand les enfants s’y rendent une ou deux jours sans voir les enseignants, eux-mêmes décident de rester à la maison sous prétexte que les enseignants ne viennent pas. Et des fois, si vous les forcez à y aller, ils reviennent le soir dire qu’ils ont attendu toute la journée sans eux. Ça fait que quand des fois, ils décident de ne pas y aller, nous ne nous opposons plus à leur décision parce qu’ils peuvent passer toute la journée à se reposer à l’école alors que s’ils sont avec nous dans les champs, nous pouvons les surveiller et ils peuvent aussi nous aider. Mais le problème est que certaines fois, leurs camarades passent les soirs les informer que l’instituteur était présent alors qu’ils sont restés à la maison le jour là pensant que l’enseignant ne viendra pas », ajoute, tout confus, M.Balo N’Towoussi.

Une des salles de classe de l'EPP Atohouè
Une des salles de classe de l’EPP Atohouè

« Il s’agit d’une situation très complexe. La voie qui mène du goudron jusqu’à l’école est impraticable. Et quand il pleut, c’est très difficile d’emprunter cette voie. C’est d’une part la raison qui justifie l’absence des enseignants parce qu’après la pluie, il faut attendre deux ou trois jours pour emprunter aisément cette voie. D’autre part, les cabanes qui servent de salles de classes sont délabrées. Alors, quand ils sont en classes et que la pluie commence, c’est très difficile pour les élèves et les enseignants d’y rester. Tout en étant dans les salles de classes, ils sont mouillés de la tête aux pieds à cause des toitures qui sont faites de pailles et en moindre quantité. De même, les enseignants ont de la peine à garder les enfants, craignant que la cabane branlante qui les abrite ne s’écroule sur eux. C’est un véritable dilemme qui fait qu’en saison pluvieuse, par exemple, il est préférable que les enseignants restent chez eux à cause des difficiles conditions de travail. Et donc, ça fait aussi que quand les enseignants viennent dans l’école, quand le temps est plus clément, ils ne voient pas les écoliers qui, entre temps, ont jugé ne plus venir perdre le temps à l’école à cause des absences répétées des instituteurs. C’est une cacophonie pour laquelle il ne faut pas tenir les enseignants pour responsables », raconte Houêdji Séwadé, un autre parent d’élève conscient de la réalité de cette école. « L’école d’Atohoué est particulière en son genre à cause de ses multiples problèmes », conclut-il.

Atohoué 3

L’EPP Atohoué est d’une singularité inouïe. Créée pour sauver les enfants d’agriculteurs et leur permettre de s’instruire, elle est finalement bien loin de satisfaire aux exigences d’une éducation de qualité. Perdue dans les champs, elle se révèle être la concentration de tous les maux dont souffre le système éducatif béninois : manque d’infrastructures adéquates, manque d’enseignants, absentéisme des enseignants, mauvaise volonté et manque d’engagement des élèves et parents d’élèves. Toutes les conditions sont réunies pour qu’on se pose la question de savoir si l’ODD 4 de l’agenda 2030 pourrait être atteint dans cette contrée perdue du Bénin. Atohoué révèlerait-elle le vrai visage de l’école béninoise dans son ensemble ?

EPP Atohoué, pourtant d’une grande utilité pour les enfants des agriculteurs

A Atohoué, les conditions de vie et de travail sont d’une précarité insolente et ne concourent nullement à l’instauration d’un cadre d’instruction propice. Et pourtant, il faut bien un lieu de savoir, une école pour ces nombreux enfants de paysans qui vivent dans cet espace géographique pour mener diverses activités champêtres. « Sans une école dans les environs, les enfants de ces fermiers n’auront aucune chance d’être instruits comme tous les enfants du Bénin », reconnait le directeur de l’établissement. « Cette école est non seulement d’une grande utilité pour l’instruction de nos enfants, en dépit des conditions, mais aussi et surtout pour nous les parents. Autrefois, nous laissions nos enfants auprès des voisins ou des parents proches dans nos villages loin d’ici afin qu’ils aillent à l’école là-bas. Mais, la conséquence, c’est que nous sommes bien obligés de rentrer au village une ou deux fois par semaine pour aller s’occuper d’eux. Nul n’ignore l’obligation de la présence continue des parents aux côtés de leurs enfants de nos jours afin qu’ils puissent donner le meilleur d’eux-mêmes à l’école. Mais, compte tenu de notre absence prolongée au village à cause des travaux champêtres, l’instruction de nos enfants est négligée et bâclée et le suivi scolaire laisse à désirer. Nous remercions donc ceux qui ont œuvré pour l’implantation d’une école ici pour nous épargner des navettes sur vingt, trente, quarante et même soixante kilomètres pour certains qui veulent rentrer tous les jours au village afin de s’occuper de l’instruction de leurs enfants », confesse, tout ému, Paulin Sobakin le président de l’Association des Parents d’Elèves de l’EPP Atohoué. Ses propos seront corroborés par un autre parent d’élève, Balo N’Towoussi, qui est aussi tout ému de la création de cette école quoique les conditions ne soient pas toutes réunies. « La création de cette école a été d’un grand secours pour l’instruction des enfants. Moi, je suis d’Atomey et cela n’a pas été du tout facile pour moi avant que mon aîné n’ait le BEPC. Faire la navette entre le champ et la maison pour chaque fois subvenir à ses besoins n’était pas aisé surtout que mon absence dans le champ empiète sur le bon déroulement des activités champêtres. J’ai alors décidé de mettre un terme à l’instruction de mes autres enfants à cause des difficultés à rallier chaque fois le village et le champ. Et Dieu seul sait que sans le champ, ma famille ne peut pas joindre les deux bouts. C’est alors que mon épouse m’a demandé de ramener les enfants avec nous au champ pour les inscrire dans cette école. Les autorités de la commune d’Aplahoué ont bien fait d’avoir créé cette école », a-t-il raconté.

la hangar servant à garder les vivres de la cantine scolaire
Le hangar servant à garder les vivres de la cantine scolaire 

A tout point de vue, ce n’est pas la création de cette école qui pose problème. Mais, faut-il créer une école juste pour le plaisir d’en créer ? De quels moyens disposent les autorités qui ont encouragé la création de cet établissement ? Les questions demeurent.

Toutefois, faut-il le reconnaître, l’EPP Atohoué n’est pas un cas complètement isolé dans la commune d’Aplahoué. Vivement que les autorités compétentes, par le biais des autorités communales à qui les ressources de l’enseignement primaire sont affectées, prennent leur responsabilité pour corriger les choses afin de ne pas écarter certains enfants du Bénin de la jouissance de leur droit à une éducation de qualité.

Cokou Romain COKOU (Correspondant à Cotonou)